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franchir la barre à marée limite. Au reste, pas trace d’habitation sur le rivage, pas un bateau dans le bassin. Excepté la pente jetée, rien qui rappelle l’homme. Un silence profond, rarement interrompu par le cri rauque de quelque oiseau aquatique, plane sur ces lieux solitaires. À l’heure qu’il est avec le feu d’artifice du soleil couchant, c’est un Claude Lorrain. Seulement le maître n’y a pas encore peint ses temples et ses naïades. L’avenir achèvera le tableau. Mais les édifiées ne seront pas des temples et les naïades ne seront pas des Polynésiennes[1].


13 juin, Loma-Loma. — L’Espiègle a pénétré dans une immense lagune et a jeté l’ancre devant quelques huttes ombragées par des arbres géans qui les enveloppent de feuillage et d’ombre. C’est Loma-Loma, le chef-lieu de Vanu Mbalava, la principale des îles des Explorateurs, aujourd’hui comprises sous le nom général de Fiji.

La nature est ici la même que partout dans ces parages, mais les hommes sont autres. Ce sont en grande partie des Tongiens ou pur sang, ou sang mêlé, c’est-à-dire des Polynésiens. Regardez ces jeunes femmes assemblées au bord de la mer, toute nous dit-on, épouses ou filles de grands chefs. L’expression des physionomies, les poses nonchalantes mais gracieuses, les toilettes soignées ne laissent aucun doute sur la position sociale de ces dames. Elles ont, sauf la bouche, les traits réguliers. J’aperçois même deux ou trois profils classiques, et j’admire leur teint mat, olivâtre très clair, qui s’harmonise si bien avec les couleurs voyantes de leurs jupes, avec la grosse fleur écarlate ou bleue piquée dans leurs cheveux abondans, lisses et noirs. Ces déesses de l’Olympe tongien ont fait leur sieste sur la plage ; maintenant, étendues ou accroupies sur le sable, elles semblent absorbées dans la contemplation de nos matelots, qui ont un jour de congé et se livrent avec passion au plaisir de la pêche. Un groupe de beaux jeunes gens de très haute taille, maintien digne, regard fier, se tiennent debout à quelque distance. Eux aussi suivent avec attention les mouvemens des pécheurs, C’est qu’ici on voit rarement un si grand nombre

  1. Mango contient 7,005 acres anglais. Des bois, des plantations de cocotiers et de cannes à sucre alternent avec des pâturages qui nourrissent une centaine de têtes de bétail et une quarantaine de chevaux. On exporte cent vingt tonneaux de copre, 40 tonneaux de coton et un peu de café. Le principal produit est le sucre, dont on espère exporter cette année-ci 1,000 tonneaux. Tous les produits sont envoyés à Melbourne. La population se compose la 40 blancs et de 790 Fijiens, Polynésiens et Coolies, tous au service de la compagnie. Le terrain est fort accidenté. Les points culminans s’élèvent à 670 pieds au-dessus de la mer. Ces informations nous ont été fournies par M. Borron, directeur de l’établissement.