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d’entrer avec lui. Thierry décontenancé parla de choses et d’autres, et, ne sachant comment se faire pardonner sa ruse, donna un grand plat d’argent à son frère, qui se retira ; mais Thierry eut regret d’avoir perdu cet objet « sans motif, » et il dit à son fils Théodebert : « Va chez ton oncle et fais-toi donner le plat. » Le jeune homme sortit et rapporta le plat : « Thierry, dit tout, simplement Grégoire, faisait ces choses-là admirablement. » Il nous semble que Clotaire aurait eu quelque droit à garder le cadeau et même à se fâcher ; mais il était de bonne guerre de chercher à tuer son frère, et un fratricide manqué n’était pas même une cause de brouille : Thierry a voulu tuer Clotaire, mais Clotaire s’est bien gardé ; tout est dans les règles. Il faut à chaque instant attendre le coup de couteau. Le roi Gontran, dans un séjour qu’il fait à Paris, ne va nulle part, pas même à l’église, sans une forte garde. Un dimanche, après que le diacre a fait faire silence, il adresse au peuple ces paroles : « Je vous en conjure, hommes et femmes qui êtes ici, daignez me garder une foi inviolable ; ne me tuez pas, comme vous avez tué mes frères ; il me faut encore trois ans pour élever mes neveux qui sont mes fils adoptifs. Prenez garde qu’il n’arrive, ce que veuille ne pas permettre l’éternelle divinité ! que, moi mort, vous ne périssiez avec ces enfans, car il ne restera plus de mon sexe personne assez robuste pour vous défendre. » Et tout le peuple se mit à prier Dieu pour ce roi qui demandait aux assassins un répit de trois ans. De toute la lignée royale il ne restait alors que Childebert, âgé de quinze ans, et Clotaire, âgé de quelques mois : le premier, fils de Sigebert assassiné ; le second fils de Chilpéric également assassiné. Chilpéric avait à peine vu son dernier né ; il l’avait caché dans une villa, de peur qu’il ne lui arrivât quelque mal s’il était aperçu en public. Il fallait en effet bien garder les enfans, car on se vengeait sur eux des griefs qu’on avait contre les pères. Quel drame que la destinée des descendans de Sigebert et de Brunehaut ! Leur fils Childebert est mort de sa belle mort, laissant deux fils, dont l’un, Théodbert, règne en Austrasie ; l’autre, Thierry, en Bourgogne. Ils se font une guerre acharnée. Théodbert tombe entre les mains de Thierri, avec son fils tout enfant : il est tondu et va mourir dans un monastère ; quant à l’enfant, un homme le saisit par le pied, sur l’ordre de Thierry, et lui casse la tête sur une pierre. Thierry meurt bientôt après, et la branche austrasienne n’est plus représentée que par la vieille Brunehaut et ses arrière-petits-enfans, les fils de Thierry. Ils tombent entre les mains du fils de Frédégonde, Clotaire. C’est alors que l’aïeule est attachée par un pied, par un bras et par la chevelure à la queue d’un cheval indompté. « Son corps est rompu membre à membre par les coups de pied du cheval et la rapidité de la