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a gardé le désordre d’une organisation incomplète, au lieu qu’à Rome a régné la discipline de l’imperium, c’est-à-dire du pouvoir absolu exercé par le magistrat au nom et pour le service de la respublica : ces deux termes en effet que la langue moderne oppose l’un à l’autre, se complètent l’un par l’autre, la respublica étant le lieu idéal où s’exerce l’imperium. Le magistrat romain a d’abord été unique et viager et s’est appelé le roi. La magistrature a été partagée ensuite entre les deux consuls, puis le consulat s’est démembré ; mais toutes les magistratures dérivées de la royauté ont gardé l’imperium. À la fin, à la suite des guerres, de la conquête du monde et des révolutions, le magistrat redevient unique et s’appelle l’empereur. Il respecte assez longtemps les vieilles formes de la constitution, les magistrats, les comices, le sénat, puis il les efface les unes après les autres. En lui s’était faite la grande synthèse des divers pouvoirs dont l’existence simultanée avait donné à Rome une sorte de liberté politique, mais très différente de la nôtre, car elle n’avait jamais eu pour objet de faire échec au pouvoir et de l’annuler.

L’empereur se trouva donc investi de toute-puissance. Il eut le pouvoir militaire : même au fond de son palais, il était réputé commander et combattre, et, quand ses lieutenans remportaient des victoires, il triomphait. Il eut le pouvoir législatif ; on l’appelait la loi vivante, lex animata in terris, et comme la loi personnifiée est supérieure à ses propres manifestations, il était affranchi des lois, solutus legibus. Il eut le pouvoir judiciaire : il jugeait en personne et il n’y avait de jugement définitif que le sien, car il recevait les appels des sentences rendues par ses officiers. Toute autorité était une délégation de la sienne. Le monde était administré par le palatium, où les divers offices savamment distribués se partageaient le gouvernement central. Du palais descendait une hiérarchie de fonctionnaires, dont chacun avait son office, car l’empire avait inventé ou du moins perfectionné le système de la division des pouvoirs. Enfin l’empereur est grand pontife et chef de la religion. Personnification de la cité, dont la majesté et la sainteté sont en lui, il a été, dès l’origine, l’objet d’un culte public ; au IIIe siècle, quand la dignité impériale a été revêtue par des princes qui vivaient en Orient, l’empire a pris le caractère de ces monarchies orientales où le prince était Dieu. Le princeps dédaigne alors de porter les titres des vieilles magistratures ; il ne se dit plus même imperator : il est le maître, dominus. Il est dieu pour son propre compte, prœsem et corporalis deus. On se prosterne devant lui ; on l’adore, et, pour recevoir ces hommages, il est habillé de pourpre, de soie et d’or, coiffé du diadème ; son palais est sacré, sa chambre sacrée, sa main sacrée, ses finances sacrées.