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seconde année de la 78e olympiade, c’est-à-dire 467 ans avant notre ère, un bloc volumineux tomba dans la chersonèse de Thrace, sur les bords de l’Ægos-Potamos, et avec des effets absolument étranges que nous a transmis la chronique de Paros, gravée sur marbre et conservée à la bibliothèque de l’université d’Oxford. La dimension de cette pierre, d’après Pline, était celle d’une double meule de moulin et son poids équivalait à la charge d’une voiture. Elle était en vénération parmi les habitans ; lors de la bataille livrée soixante ans plus tard dans le voisinage, et qui mit fin à la longue guerre du Péloponèse, on lui attribua, dit Plutarque, la défaite des Athéniens.

Une masse semblable fut recueillie à Pessinonte, en Phrygie, et devint également l’objet d’un culte sous le nom de Cybèle ou de Mère des Dieux ; tant il était naturel d’attribuer à des corps d’une apparition si anormale des vertus divines. Les décemvirs, gardiens des livres sibyllins, ayant annoncé que la présence de cette pierre amènerait l’expulsion des Carthaginois hors de l’Italie, on la transporta, avec l’autorisation du roi Attale Ier, en 204 à Rome. La pompe qui présida à sa réception montre l’importance attachée à la possession de l’idole. L’oracle de Delphes avait prononcé qu’elle serait reçue par le plus honnête homme de la république. Scipion Nasica, qu’un sénatus-consulte proclama tel, alla recevoir la déesse protectrice au port d’Ostie. Il était suivi, au milieu des manifestations d’une joie générale, d’un cortège nombreux de dames romaines qui la portèrent au temple de la Victoire, la prenant chacune à leur tour entre les mains, non que le poids pût les fatiguer, mais afin que l’honneur fût partagé. D’après Arnobe, qui vit la pierre vénérée et l’examina attentivement, on l’avait enchâssée dans une monture d’argent. Elle était de faible dimension et d’un noir foncé ; elle présentait des angles saillans et inégaux, ainsi que des aspérités irrégulières. On y admirait, comme signe miraculeux, une cavité en forme de bouche, de telle sorte qu’elle offrait grossièrement le simulacre d’un visage.

Les croyances superstitieuses qui s’attachaient aux corps d’une pareille provenance se constatèrent encore quatre cents ans plus tard, lorsque Elagabale fit venir d’Émèse, en Syrie, la pierre qu’on y adorait, comme l’image du Dieu du soleil, dont il avait pris le nom. Traînée sur un char par six chevaux blancs que l’empereur conduisait lui-même, elle suivit un chemin couvert de poussière d’or, et fut amenée dans un temple magnifique, élevé en son honneur sur le mont Palatin, qui fut consacré dès lors au culte du soleil.

La vénération qui entourait, en des lieux si divers et pendant une longue série de siècles, de simples pierres noires, d’un volume et d’un aspect ordinaires, ne saurait s’expliquer, si, confiant