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défendre des violences, des iniquités capricieuses, des abus de domination dans un intérêt exclusif de parti. On a parlé assez souvent de la nécessité d’arriver à fonder la stabilité dans la république ; on n’a pas même réussi à avoir des ministères de quelque durée, parce qu’on commence par méconnaître toutes les conditions de gouvernement, parce qu’on prend toujours l’arbitraire de parti pour l’autorité, parce qu’au lieu de chercher à fonder un ordre régulier sur la pacification, on s’est sans cesse occupé à irriter les opinions et les croyances. Assurément, s’il y a un fait caractéristique dans les dernières élections, c’est une sorte de réaction sensible contre ce qu’on appelle la « guerre au cléricalisme, » c’est un besoin impérieux de paix religieuse. M. le président du conseil a semblé lui-même en faire l’aveu dans sa récente déclaration en reconnaissant que la majorité de la nation française ne paraissait pas favorable à cette séparation de l’église et de l’état, qui est un des articles du programme républicain. On ne fera peut-être pas la séparation de l’église et de l’état parce qu’elle serait trop dangereuse pour la république, soit ; mais on entend bien prendre sa revanche, donner quoique satisfaction aux républicains, surtout aux républicains vaincus dans les élections, et c’est M. le ministre de l’instruction publique et des cultes qui, en sa qualité de libéral du cabinet, s’est chargé de cette œuvre méritoire. M. le ministre des cultes n’a pas perdu de temps : il a déjà commencé ses exécutions dans les départemens soupçonnés de subir les influences cléricales. De son autorité propre, il a courageusement frappé bon nombre de malheureux desservans de campagne, en leur distribuant libéralement les amendes sous forme de suspension de traitement. Dans le seul département de l’Ariège, il y a trente-cinq prêtres ainsi frappés et la liste des victimes s’accroît tous les jours dans tous les autres départemens. On peut s’attendre à voir d’ici à peu le système s’étendre dans toutes les régions de la France, — probablement pour bien montrer aux populations qu’on respecte leur culte et qu’on veut rétablir la paix religieuse, Or il y a ici une première question.

Où M. le ministre des cultes a-t-il trouvé le droit de procéder avec cette désinvolture d’omnipotence administrative ? Il n’a pu certainement le trouver écrit et formulé nulle part. Rien ne lui donne cette faculté autocratique et exorbitante de supprimer ou de suspendre, de sa volonté propre, des traitemens inscrits au budget, régulièrement affectés à un service reconnu par l’état. Il n’a pas plus ce droit à l’égard des fonctionnaires du culte, qu’à l’égard de tous les fonctionnaires civils et administratifs. On pourrait tout au plus découvrir dans quelque loi de finances de la restauration un article autorisant, dans le service des cultes, la suspension de traitement, — mais pour un fait déterminé, pour le défaut de résidence. En dehors des cas prévus par la