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actuelle ne peut succéder que le despotisme le plus rigoureux. Mon bon nonce Caprara, qui est un homme d’esprit, me disait à l’occasion de la sagesse de l’assemblée nationale : « Je n’ai pas peur pour l'autorité de l’église; nous sommes peut-être trop vieux, vous et moi, pour la voir renaître de sa cendre, mais elle renaîtra : vos jacobins ont rendu ce miracle immanquable. Mais convenez aussi qu'ils ont fait perdre un beau procès au genre humain, et que s’ils eussent été capables de conduire cette révolution avec modération et sagesse, ils auraient pu la rendre bien heureuse pour l’humanité entière. »

On ne s’étonnera pas que Grimm, avec ses opinions, soit vite, devenu suspect. Il était connu pour être le correspondant confidentiel de Catherine; or, on se doutait, aux Jacobins, que l’impératrice « n’avait pas pour la régénération gauloise tout le respect qu'elle méritait, » et cette impression avait été confirmée par la légèreté du prince de Ligne, qui avait laissé prendre copie d’une lettre où Catherine traçait un tableau peu flatté de l’état de l’Europe. Les écrits du temps ne sont pas sans avoir conservé quelques traces de la notoriété qu'avaient acquise les relations de Grimm avec la cour de Russie, et du parti que la polémique en tirait. Les Actes des apôtres, en reproduisant la circulaire du 23 avril 1791, dans laquelle Montmorin avait cherché à établir la liberté constitutionnelle dont jouissait le roi, l’accompagnèrent d’une réfutation sous forme de « fragment de la correspondance secrète du baron de Grimm avec la première fonctionnaire politique de toutes les Russies. » Grimm, sous la plume d’un autre pamphlétaire, devenait « le chargé des affaires de sa majesté l’impératrice des Russies à Paris. « Il s’agissait cette fois d’attaquer tout ensemble Volney et la révolution. En apprenant que Catherine avait des faveurs pour les émigrés, Volney, qui avait reçu d’elle une médaille d’or à l’occasion de son Voyage en Syrie et en Égypte, avait renvoyé ce cadeau à Grimm, par l’intermédiaire duquel il lui était parvenu. Cette démarche avait été accompagnée d’une lettre à laquelle la brochure dont nous parlons était une réponse violente et injurieuse.

Après avoir passé deux mois à Francfort, où, comme nous l’avons vu, il avait assisté à l’élection et au couronnement de l’empereur Léopold, Grimm, à la fin de l’automne de 1790, revint se plonger dans « ce gouffre de Paris, » bien qu'il en eût « pour cet hiver plus mauvaise opinion que jamais. « Il voulait se rapprocher des Bueil, qui, déjà à moitié ruinés, vivaient tant bien que mal dans leur terre de Varennes. On n’émigrait pas faute de ressources, crainte aussi d'encourir la confiscation, mais le moment de prendre un parti approdiait à grands pas. En 1791, Grimm passa derechef l’été en