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dépossédées, et garder tout particulièrement ses bestiaux contre les vols nocturnes des anciens maîtres du pays. L’isolement est rarement chose pratique ; le groupement n’est pas toujours facile. Quand on a créé une gendarmerie, des fontaines, des lavoirs publics, des écoles, une église, on n’a pas tout fait pour rendre La colonisation commode à des gens qu’étonnent les nudités de la vie primitive. L’admirable réseau de chemins de fer et de grand' routes, qui relie déjà nos villages entre eux, témoigne assez de la sollicitude d’une administration trop calomniée de ceux qu’elle a comblés de ses attentions. Mais il est impossible de faire surgir, en quelques années, en pays presque ennemi, l’état de choses qui a demandé des siècles d’efforts et de persévérance en terre européenne. Par exemple, les chemins vicinaux ou ruraux n’existent guère. En beaucoup de lieux, il faut se contenter de pistes, comme en pays sauvage. L’Arabe porte encore ses récoltes à dos d’âne ou de cheval sur des sentiers bons au plus pour des mulets. Le colon a plus de peine à transporter les siennes de son champ à son village qu’il n’en aurait à les envoyer de ce village au chef-lieu de la province. La ténacité du paysan peut seule triompher de tels obstacles.


II.

Est-ce à dire que la colonisation offre des difficultés insurmontables et que les gens prudens doivent s’en détourner ? Telle n’est pas notre pensée. Sans doute, il faut être préparé par son éducation antérieure et muni de ressources suffisantes pour oser se lancer dans une carrière dont les commencemens sont toujours durs ; mais tout homme énergique, entreprenant, persévérant, de bonne santé, habitué à exécuter lui-même les travaux des champs, ou tout au moins à les diriger, peut avoir chance de succès, pourvu qu’il apporte avec lui un petit pécule. Dix à vingt mille francs sont presque indispensables pour qui n’a pas obtenu de concession gratuite et ne peut compter que sur lui-même.

Ce n’est pas que, sans capital, et en se résignant d’avance à travailler pour le compte des autres, on ne puisse gagner sa vie en Algérie. Il ne manque pas de colons enrichis qui demandent à être secondés par de solides contremaîtres, chefs de chantier, ouvriers habitués aux méthodes européennes. Quoique la main-d’œuvre indigène y soit à bon marché, pourtant le travail de l’Européen sobre et honnête y est toujours recherché. Bon nombre de gros propriétaires français, qui ont besoin d’aides ou qui sont absens, s’estimeraient