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pour un jour le législateur de la France, comme je ferais bien danser tous ces grands seigneurs ! »

Quant aux privilèges, aux préséances, à ces vanités extérieures auxquelles leurs possesseurs attachaient peut-être plus de prix qu'à des revenus, on ne les discuta même pas. Ils furent abandonnés sans phrases. En tête des décrets de la nuit du 4 août, la constituante traça le résumé du plan qu'elle concevait. Il fallait quatre années pour l’accomplir dans la législation. Les racines du vieil arbre féodal étaient si profondes que de longs efforts étaient nécessaires pour les extirper.

Les légistes qui dirigeaient les comités et les délibérations avaient fait une distinction entre la féodalité dominante et la féodalité contractante, entre les justices seigneuriales qui étaient des portions détachées de l’autorité publique, entre les servitudes personnelles ou les redevances qui en représentaient l’abolition, et les contrats d'inféodation. Les premiers de ces droits féodaux attentaient à la souveraineté de l’état, les seconds violaient la liberté du citoyen, les troisièmes seuls tiraient leur origine de conventions véritables. Les jurisconsultes firent décider que les deux premiers étaient abolis sans indemnité, le rachat pour les derniers fut admis.

Les censitaires, on ne l’ignore pas, n’acceptèrent pas cette décision ; ils protestèrent, rédigèrent de nouveaux cahiers et appelèrent une loi plus radicale sur les droits déclarés rachetables.

Le sol affranchi, les privilèges détruits, il fallait, par la division de la terre, multiplier le nombre des propriétaires, créer plus de citoyens intéressés au nouvel ordre de choses ; la bourgeoisie n'hésita pas à donner les biens nationaux comme dot à la constitution. Elle fit mettre aux enchères la dixième partie de la richesse foncière du pays.

Elle n’eût pas cependant vulgarisé la propriété si elle n’avait pas d'abord transporté dans la famille l’esprit nouveau d’égalité. Depuis longtemps, la famille bourgeoise, réunie dans un faisceau serré et indissoluble, réalisait dans les sentimens, les lois de la nature et de la raison. Les philosophes et les légistes s’étaient mis d’accord pour appliquer l’ancienne formule de Marculfe : « Comme Dieu a donné au père tous ses enfans, ils doivent avoir une part égale aux biens de leur père. » Aussi les droits d’aînesse et de masculinité, représentant le principe féodal, furent-ils supprimés et l’égalité établie dans les partages de toute espèce de succession. Mais avec sa noble mission de faire passer dans la loi le spiritualisme social, la bourgeoisie ne voulut pas proscrire la liberté de tester et le droit pour l'homme de disposer d’une partie de ses biens. Tronchet, qui fut l’organe de la pensée commune, dit aux applaudissemens de tous ceux qui l’écoutaient : « Pourrait-on refuser au père de récompenser