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Transformer à ce point l’organisation du catholicisme, asseoir tout l’édifice ecclésiastique sur l’élection populaire, créer l’indépendance de la juridiction des évêques à l’égard de celle du pape, qu’était-ce de la part d’une assemblée politique, sinon placer en définitive l’église sous la dépendance du pouvoir civil ? Pour que, du reste, aucun doute ne soit possible sur le but, pour bien attester les tendances de cet esprit unitaire qui caractérisait la bourgeoisie, on n’a qu’à se souvenir des paroles de Treilhard, dans la séance du 29 mai 1790. « Un état peut admettre ou ne pas admettre une religion ; il peut à plus forte raison déclarer qu’il veut que tel établissement existe dans tel ou tel lieu, de telle ou telle manière ; quand le souverain croit une réforme nécessaire, rien ne peut s’y opposer. »

Pas plus qu’ils ne comprenaient la liberté d’association limitée par la loi, ces hommes sincères ne purent se dégager de ce faux principe qui prend la souveraineté collective pour la liberté. On n’a pas oublié comment l’assemblée, pour donner à cette organisation nouvelle un point d’appui dans la conscience des ecclésiastiques, aggrava sa faute en exigeant des ministres du culte le serment à la constitution civile. On n’a pas oublié la protestation éloquente de Montlosier et ce mot profond de Maury : « Prenez garde, il n’est pas bon de faire des martyrs ! » Les hommes auxquels ces paroles s’adressaient étaient des idéalistes et non des sceptiques. Ils se trompaient de bonne foi. Leur œuvre n’eut d’autre résultat que de retremper dans l’exil et dans la persécution les vertus défaillantes du clergé du XVIIIe siècle. Dans certaines provinces, loin des voix tumultueuses et des fièvres de Paris, ils troublèrent dans les familles religieuses plus d’une de ces âmes ardemment éprises de la révolution, mais qui n’avaient pas séparé leurs croyances de leurs aspirations égalitaires. La guerre civile était proche. Elle devait éclater dès que l’arbitraire démocratique n’aurait plus en face de lui les talens et les caractères du parti constitutionnel.


VI.

Quels furent les sentimens politiques de la haute bourgeoisie ? Les institutions ne lui avaient pas appris à devenir libérale. Les états-généraux avaient été trop rarement assemblés pour exercer une action régulière sur les mœurs publiques ; protestation intermittente des souffrances des roturiers, ils n’avaient pu faire leur éducation politique. Les tentatives d’intervention directe du parlement de Paris dans les affaires du royaume avaient bien créé dans les classes moyennes une élite politique ; mais l’esprit de caste avait fini par surexciter l’orgueil de messieurs du parlement et les