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Enfin, dernier trait : la saison est favorable, la campagne est terminée victorieusement sur toute la ligne. On a trois mois devant soi. Comment n’en profiterait-on pas ?

Il était difficile de réfuter une argumentation aussi vigoureuse. Le nouveau rapporteur du comité, Cochon, l’essaya pourtant, mais sans succès. Quant à Carnot, voyant la partie perdue, la Convention décidée, il ne dit mot et, comme à son accoutumée, quand il ne se sentait pas le plus fort, il rentra ses angles.

Ainsi prévalut, malgré les comités militaire et de salut public, malgré la redoutable opposition de « l’organisateur de la victoire, » grâce à la sagesse de la Convention, grâce aussi et surtout à Dubois-Crancé, à sa fermeté soutenue, à son entrain communicatif, cette grande réforme de l’amalgame, d’où date vraiment l’éclatante supériorité des armées de la république sur celles de la coalition. En 1792, c’était un coup de fortune et la trahison de la Prusse envers ses alliés qui avaient sauvé la France ; en 1793, c’était une convulsion générale, le débordement, l’inondation d’un million d’hommes, qui, de leur choc irrésistible, avaient fait reculer les vieilles troupes de Marie-Thérèse et de Frédéric II. A partir de 1794 et au fur et à mesure de l’embrigadement, les prodigieux succès de la révolution s’expliquent, en grande partie, par la valeur de l’instrument qu’elle a désormais entre les mains et qui n’est autre, au fond, que le ci-devant régiment reconstitué sous un autre nom. En effet, après deux années de tâtonnemens, de désordre et de cacophonie, ce qu’on a trouvé de plus sage encore, c’est d’en revenir à l’ancienne formation, aux unités consacrées par l’expérience et le temps : plus de compagnies franches, de légions plus ou moins germaniques, de bataillons ou d’escadrons isolés, sans cohésion et sans lien entre eux, plus riches en états-majors qu’en soldats ; un type unique, la demi-brigade, et pour toute marque distinctive, des numéros que la gloire attend.


III

Le rôle prépondérant joué par Dubois-Crancé dans cette question de l’amalgame, la persévérance et le succès de ses efforts suffiraient à lui marquer, dans la révolution, sa place au nombre de ceux qui rachetèrent leurs erreurs, sinon leurs crimes, par de grands services. Peut-on en dire autant de sa mission à l’armée des Alpes et devant Lyon ? et, d’une façon plus générale, de sa valeur comme homme de guerre ? M. le colonel Yung n’en doute pas, et c’est son droit : il est de l’artillerie et doit certainement se connaître aux sièges ; mais l’opinion de l’artilleur Bonaparte a bien aussi sa valeur,