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que nous avons admises à Nikolsbourg. Mais il nous serait difficile de rester indifférens aux efforts du comte de Bismarck pour étendre son action au-delà de ces limites, soit en cherchant à annexer à la Confédération du Nord de nouveaux territoires, soit en faisant valoir ses prétentions à l'occupation des anciennes places fédérales. » — « Vous avez tort, répliquait le vice-chancelier, de vous mettre martel en tête. La Prusse ne songe à aucune extension de territoire, ni à réclamer l'occupation des anciennes places fédérales. Bismarck, je vous le garantis, est sincère lorsqu'il proteste de sa fidélité à observer les stipulations de Prague; il est désireux d'éviter tout ce qui pourrait vous froisser. Sa position est difficile; à moins de compromettre son ascendant en Allemagne, il ne peut pas se prononcer publiquement contre l'unité, mais j’affirme qu'il est loin de la désirer. Elle lui créerait plus d'embarras que de profits. Le parlement douanier n'est qu'un dérivatif à la pression que le parti national exerce sur les gouvernemens, il établit un lien sans amener de fusion, au moins immédiate. Il importe de gagner du temps, de l'utiliser pour calmer les passions et les défiances réciproques. Bismarck vous donnera en attendant satisfaction sur la question danoise, et je vous le répète, lorsqu'il vous a dit qu'il se maintiendrait sur le terrain du traité de Prague, il était sincère. »

Le prince Gortchakof se disant dans le secret des dieux, il n'eût pas été séant de mettre en doute ses affirmations. « Vos assurances nous sont précieuses, lui dit M. de Moustier, j'en prends acte. »

Passant à la question d'Orient, le vice-chancelier, qui était en veine de désintéressement, certifiait que la Russie n'était guidée dans sa politique en Turquie par aucune pensée d'ambition territoriale, qu'elle ne poursuivait aucun projet d'agrandissement. Il disait qu'elle était uniquement préoccupée de faire servir son influence à l'amélioration du sort des chrétiens et que, loin d'avoir pour but d'affaiblir le pouvoir du sultan, ses efforts tendaient à l'affermir. Il souhaitait sans doute la réunion de la Crète à la Grèce, mais il ne l'admettait qu'à la condition d'obtenir du gouvernement hellénique les plus sérieuses garanties. — « Ces explications, disait le pro memoria à titre de conclusion, échangées avec l'entière confiance qu'appelaient des deux parts les rapports personnels entre les souverains, ont eu pour résultat de constater l'accord des cabinets sur tous les points essentiels. Les deux gouvernemens sont donc convenus de suivre de concert sur les bases indiquées une politique pacifique et progressive, aussi bien dans l'affaire de Crète que dans la question des réformes, et c'est à ce but commun qu'ils se proposent de faire concourir leur influence en Orient. »

Le prince Gortchakof s'était flatté dans un de ses accès de vanité