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duchesse de Portsmouth fut en son temps une façon de personnage, et nous n’avions jusqu’ici sur elle que de confus, très suspects et bien minces renseignemens.

A l’époque du voyage de Douvres, parmi les filles de Madame, il en était une dont les traits, enfantins encore, et la physionomie douce avaient paru faire une vive impression sur les sens de Charles II. Elle se nommait Louise de Kéroualle, était Bretonne, de bonne famille, âgée d’une vingtaine d’années, « Ses parens, prétend Saint-Simon, l’avaient destinée à être maîtresse du roi ; elle obtint une place de fille d’honneur chez Henriette d’Angleterre ; malheureusement pour elle, La Vallière y en eut une aussi. » Saint-Simon, comme il lui arrive, confond ici les temps. En 1661, qui est l’année où Louise de La Vallière devint la maîtresse du roi, Louise de Kéroualle avait à peine douze ans, et puis, c’était peut-être une distinction, un moyen de fortune que d’être maîtresse du roi, mais non pas encore en ce temps-là une carrière, une fonction, une charge : on n’y destina sa fille qu’un peu plus tard. Je ne crois pas non plus qu’en se faisant accompagner de Louise de Kéroualle, Madame ait prévu, comme on l’a dit, ce qu’il en adviendrait. Question de dates, nous Talions voir, et non pas de morale. La politique, de tout temps, s’est montrée peu scrupuleuse dans le choix de ses moyens, et, pour Madame, vraie sœur en cela de son frère, nous la connaissons maintenant assez libre de préjugés. Mais enfin, Louise de Kéroualle revint en France avec elle, et il n’en fut plus question jusqu’à la mort de la princesse.

Les bruits d’empoisonnement qui coururent alors ne trouvèrent nulle part plus de créance qu’en Angleterre. Charles II, sincèrement et vivement affligé, laissa échapper, contre Monsieur, des imprécations violentes ; « il y eut de la canaille, » écrit l’ambassadeur, « qui dit qu’il fallait faire main basse sur les Français ; » et Buckingham qui, jadis, avait fait l’amoureux de Madame, très ridiculement, qui correspondait avec elle, qui avait sur Charles II quelque influence, affecta publiquement de croire « à ce discours extravagant et très éloigné de la vérité. » On craignit un moment, en France, la rupture de l’alliance. Louis XIV se souvint-il alors lui-même de l’impression que Louise de Kéroualle avait faite sur Charles II, ou quelqu’un l’en fit-il souvenir ? Toujours est-il que la jeune fille passa en Angleterre et, de fille de Madame, devenue fille de la reine d’Angleterre, comme par héritage, Charles Il guérit de ses soupçons en lui faisant sa cour. Ce bon prince, comme l’appelle Hamilton, commençait à se lasser des hauteurs de la maîtresse en titre, la duchesse de Cleveland, des familiarités de celle qui régnait sous elle, Nell Gwynn, la comédienne, et de leurs infidélités à toutes deux. Hésitation ou coquetterie, d’ailleurs, Louise de Kéroualle eut l’art d’attiser la passion du roi par une belle résistance ; elle ne céda qu’au bout d’un an, et ce sont les dépêches