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peut-être un peu loin ; mais il faut avouer qu’au moins sous l’empire Rome a été très tolérante pour tous les cultes étrangers et qu’elle a donné une large hospitalité à tous les dieux du monde. Cette tolérance générale est un des principaux argumens qu’on invoque contre les persécutions chrétiennes. Il est sûr qu’au premier abord on ne comprend pas pourquoi les disciples du Christ ont été traités autrement que les adorateurs de Sérapis ou de Mithra. Nous ne sommes pas les premiers à nous en étonner ; les chrétiens, qui étaient victimes de ces rigueurs inattendues, en ont été bien plus surpris que nous. Comme ils voyaient toutes les religions tolérées et des temples s’élever à tous les dieux dans les villes romaines, ils s’indignaient qu’on fît une exception pour eux seuls : c’est un sentiment qu’on retrouve chez tous leurs apologistes. Origène va plus loin : cette conduite des Romains envers la religion nouvelle lui paraît si étrange, si peu conforme à leurs pratiques ordinaires, qu’il veut y voir une preuve de la divinité du christianisme. Après avoir rappelé que le Christ avait dit à ses apôtres « qu’ils seraient conduits devant les rois et les magistrats à cause de lui, pour rendre témoignage en leur présence, » il ajoute : « Qui n’admirerait la précision de ces paroles ? Aucun exemple puisé dans l’histoire n’a pu donner à Jésus-Christ l’idée d’une pareille prédiction ; avant lui aucune doctrine n’avait été persécutée, les chrétiens seuls, ainsi que l’a prédit Jésus, ont été contraints par leurs juges à renoncer à leur foi, et l’esclavage ou la mort ont été le prix de leur fidélité. » Mais non ; Origène se trompe, et il n’y a rien là de miraculeux. Un peu de réflexion montre vite pourquoi les Romains furent ici contraires à leurs maximes, et quel motif les rendit sévères au christianisme, tandis qu’ils étaient indulgens pour les autres cultes. Ce motif, on l’a souvent donné, et il me suffit de le rappeler en deux mots : les autres religions étant au fond polythéistes pouvaient s’accorder avec celle de Rome ; Isis et Mithra ne répugnaient pas à s’entendre avec Jupiter et Minerve ; les inscriptions nous montrent que ces divers dieux, quoique fort distincts par leur origine et leur caractère, s’aident les uns les autres et se recommandent mutuellement à la piété des fidèles ; celui des chrétiens n’est pas aussi accommodant : il veut tout pour lui et n’admet pas de partage. Plus d’une fois, dans leurs aigres disputes avec les partisans des nouvelles croyances, les amis de Jupiter très bon et très grand, qui siégeait au Capitule et de là régnait sur l’univers prosterné, avaient dû entendre les chrétiens murmurer ces mots terribles, qu’ils empruntaient à leurs livres saints : « Les dieux des nations sont des idoles ; qu’ils soient déracinés de la terre ! » Ces menaces, on le comprend, exaspéraient les païens ; on ne s’entendit pas avec des gens qui ne voulaient s’entendre avec personne ; et, comme ils