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Comme les Pélasges avaient occupé la Grèce et les îles avant l’arrivée de leurs congénères aryens, les Hellènes, on pensait que ces Pélasges avaient dû se fortifier dans le pays, soit les uns contre les autres, soit contre les envahisseurs venant de la mer. Beaucoup de traditions locales appuyaient cette induction; à Athènes même, la primitive enceinte de l’acropole portait le nom de Pélasgicon. Le nom de ces Pélasges ou Pélasdes se lisait, sous la forme de Pelesta, dans des inscriptions hiéroglyphiques du temps de Thoutmès III, plusieurs siècles avant la guerre troyenne. On les retrouvait au temps de Ramsès II, du grand Sésostris, à la tête d’une vaste confédération de peuples aryens, répandus dans la Grèce, sur les rivages d’Asie et dans les îles. On savait qu’aux temps héroïques les Pélasges avaient pris un grand empire sur la mer, qu’ils y avaient fait concurrence aux Phéniciens et avaient fini par les supplanter. On savait que, sous le nom de Philistins, en 1254, les Pélasges crétois avaient anéanti Sidon et que Tyr, seconde capitale des Phéniciens, n’avait été fondée qu’en 1209. Enfin lors de l’invasion dorienne, un peu postérieure aux faits de l’Iliade, les Phéniciens n’occupaient plus que trois îles, Thasos, Milo et Théra. Les peuples de race aryenne l’avaient emporté sur tous les points.

D’autre part, on avait toujours vu dans les Phéniciens un peuple de marchands faisant le commerce par mer. Ils avaient des comptoirs sur tous les rivages de la Méditerranée ; M. Schliemann prend la peine d’énumérer tous leurs établissemens. On se défiait d’eux, parce qu’ils trompaient sur la marchandise et enlevaient les garçons et les filles ; Homère en est témoin. Ils n’étaient pas conquérans et ne pénétraient guère dans l’intérieur des terres. A quoi bon? Les hommes recevaient de main en main les produits lointains et l’échange se faisait sur les bateaux. Les Phéniciens ne colportaient pas seulement les produits de leur pays ; ils faisaient une sorte de cabotage d’un port à un autre, de sorte qu’à l’extrémité de leur course ils n’avaient pour ainsi dire plus de marchandises phéniciennes dans leur navire. Même dans les pays où ils sont demeurés le plus longtemps, les fouilles mettent au jour des produits dont l’origine phénicienne est bien difficile à démontrer. Ainsi l’île de Kimolos a fourni à celle de Théra des poteries qui n’ont rien d’asiatique et dont les analogues se trouvent aussi ailleurs. Il se peut que ses vases aient été transportés par des navires phéniciens ; mais ils ont pu l’être aussi bien par des Pélasges, même avant l’époque reculée où Théra s’effondra sous la mer. C’est pourquoi, en matière de provenance et jusqu’à plus ample informé, le scepticisme est la première vertu de l’archéologue.

Supposons néanmoins, ce qui n’est pas, que les poteries de