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des avantages : purement politique, favorable à l’établissement de notre influence, elle est louable et habile, mais à la condition d’être rare. Si elle devenait une tradition, elle serait non-seulement très ridicule, mais très maladroite : elle attirerait sur nous et sur les tidjanya la risée générale.

Nous ne nous étendrons pas davantage sur cet ordre : elles ne sont que trop évidentes, les causes de son impopularité et de son insuccès dans le monde arabe. Encore n’avons-nous pas montré un dernier point faible de son organisation : tolérans comme ils le sont pour les chrétiens, les tidjanya n’ont pas su faire aux musulmans une concession capitale sur laquelle Senoussi, au contraire, a établi en partie sa doctrine : leur ordre est exclusif; quiconque s’y enrôle cesse d’appartenir à une autre secte. Être tidjanien, c’est n’être plus que tidjanien.


IV.

A l’inverse, Senoussi, qui s’est bien gardé de se compromettre par des relations officielles avec les autorités françaises ou européennes, a ouvert son ordre à tous les musulmans. Le croyant qui vient à lui n’est pas obligé d’abandonner la secte ou les sectes dont il était membre : des kadrya, des rahmanaya, des taïbya, des derkaoua sont senoussya; ils n’ont pas à faire le sacrifice de leurs affiliations antérieures et des avantages de toute nature qu’ils peuvent en tirer; s’ils sont mokaddems, ils conservent leur titre et leurs privilèges : en un mot, ils ne changent ni de doctrine, ni même de nom ; leur adhésion au senoussisme peut être à peu près platonique ; c’est à peine s’ils s’aperçoivent qu’ils entrent dans une secte nouvelle ; ils y retrouvent en effet leur deker, la plupart de leurs prières et de leurs pratiques pieuses, avec ce seul changement qu’elles sont devenues plus austères et que, si le nouvel élu s’y conforme, il est insensiblement conduit par un rigorisme sévère à l’éloignement du monde chrétien. Mais il y est conduit prudemment, d’étape en étape, comme s’il y arrivait de lui-même, en sorte que, entré dans la secte pour y fortifier l’enseignement religieux qu’il a déjà reçu, le doux chadelien, par exemple, devient notre ennemi déclaré. Il appartient réellement dès lors à une secte qui n’est plus la sienne, qui diffère de toutes les autres, mais qui recrute d’autant plus sûrement ses membres qu’elle semble ne rien exiger d’eux.

La vie de Mohammed Senoussi sera certainement écrite : consacrée tout entière à l’édification de son œuvre, elle est faite pour exciter l’admiration et la piété chez les croyans; elle est remplie d’incidens,