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instructions catégoriques de ne pas favoriser ouvertement les ordres religieux qui sont bien disposés pour nous, mais surtout de ne pas combattre ceux qui nous sont hostiles. Une politique habile négligerait ceux qui, nous étant acquis, n’ont guère de crédit chez les Arabes, et ferait des avances aux autres. Le procédé contraire, nous l’avons vu, déconsidère ceux qui nous servent et rend populaires nos ennemis. Pour préciser, et bien que ce système de défense ne soit pas de tous le plus moral, réservons nos faveurs pour nos adversaires. — Il est facile d’entretenir par quelques concessions les espérances de ceux que leur faiblesse, ou la cupidité ont fait passer dans notre camp et qu’il ne faut pas désappointer; ils trouvent d’ailleurs dans notre équité, dans la tranquillité, la liberté de conscience dont nous devons les laisser jouir, des conditions d’existence bien supérieures à celles que leur offre l’insoumission. Bornons-nous à être justes pour eux, cela est suffisant. Quant aux sectes qui menacent de se fondre toutes ensemble contre nous, leur témoigner du mécontentement est chose puérile, puisque nous ne faisons que fortifier et précipiter ainsi leur union. Si nous en attirons au contraire à nous par de l’argent, par des avantages, des honneurs même, les principaux chefs, non-seulement nous obtenons des abstentions, mais nous semons autant de germes de division parmi eux que nous faisons de faveurs. Rien ne dure longtemps dans ces organisations religieuses; en combien de sectes indépendantes se sont disséminés les kadrya? Nous réduirions ainsi le corps du senoussisme en une poussière inoffensive, si nous nous attachions à y introduire délibérément la discorde et la déconsidération.

Diviser, déconsidérer, ne pas combattre : tel est le sens général des instructions à donner aux fonctionnaires qui sont aux prises avec les fanatiques, n’employer nos soldats qu’à repousser des incursions ou à les punir, si le châtiment est opportun, s’il n’exige pas des sacrifices disproportionnés avec l’offense ou le préjudice. Une telle politique confiée à quelques hommes habiles, froids, équitables, comme nous pouvons en recruter heureusement beaucoup en Algérie, ne serait peut-être pas glorieuse, mais elle serait sage; et je ne partage pas sur ce point l’avis du commandant Rinn, qui la croirait indigne d’un grand pays. Nous devons, il est vrai, c’est notre ambition, notre fierté en Afrique, donner l’exemple de la justice et de la bonne foi, mais ce n’est pas une raison pour être dupes et jouer les don Quichotte, préférer à une politique préventive efficace les expéditions héroïques, mais folles, qui consistent à poursuivre pendant des semaines, en plein désert, un ennemi insaisissable. Nos soldats ne sont pas des volontaires, notre budget de la guerre doit être ménagé, et toutes les fois qu’il est possible de remplacer une