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Le succès de leur cause et l’abaissement du stathouder étaient à leurs yeux assurés. Au moment même où la cause orangiste paraissait vaincue, où tout espoir semblait défendu à Guillaume V, se passait un événement qui devait relever son parti et de jouer tous les projets de ses adversaires. Le 22 août 1786, sir James Harris faisait partir en grande hâte d’Helvoët un paquebot qui devait porter au marquis de Carmarthen la nouvelle de la mort du grand Frédéric. « Il est très douteux, disait quelques heures plus tard sir James Harris, en revenant sur cet événement, que son successeur puisse continuer le rôle qu’il a tenu avec tant d’éclat pendant tant d’années. Les jeunes filles les plus modestes sont devenues des femmes galantes, et les plus sages héritiers présomptifs sont devenus les plus faibles des rois. » Frédéric-Guillaume Il ne devait pas démentir une prédiction que sir James Harris n’eût peut-être pas consenti à signer quelques mois plus tard.


IV.

Dès son avènement au trône, le nouveau roi crut devoir prendre dans les affaires de Hollande un ton différent de celui qu’avait employé son oncle. Cinq jours après la mort du grand Frédéric, il écrivait au baron de Goltz, son ambassadeur à Paris, pour le prier d’attirer l’attention de la cour de France « sur la résolution aussi illégale que hardie » prise par les états de Hollande au sujet du commandement de La Haye. La France et la Prusse agissant d’accord ne pourraient-elles pas faire changer cette mesure? Le roi en aurait la plus grande obligation au roi de France, « et ne manquerait pas de lui en témoigner en toute occasion une reconnaissance aussi parfaite que sincère. » La lettre de créance, adressée le 2 septembre par Frédéric-Guillaume aux états généraux des Provinces-Unies pour accréditer auprès d’eux le comte de Goertz, était encore plus nette, et le roi ne craignait pas de parler « des oppressions inouïes que le prince avait dû souffrir si innocemment. » Les déclarations de Frédéric-Guillaume II, comme les récriminations de son beau-frère restèrent inutiles ; les états de Hollande ne revinrent pas sur leur première décision.

Quelques jours avant la mort du grand Frédéric, sir James Harris avait écrit à M. Ewart. « Tout prouve l’utilité de l’attente; » mais la politique sage et prudente recommandée par le ministre d’Angleterre ne pouvait convenir au stathouder, ni aux orangistes.

L’effort constant des princes d’Orange avait tendu à réduire l’autorité souveraine des provinces et des villes. En 1674, à la suite de l’invasion française, Guillaume III, grâce à de savantes combinaisons et à des mesures violentes, était parvenu à s’emparer du droit de nommer