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Rayneval. « Il consentait à remettre lui-même à la princesse d’Orange la lettre dans laquelle Rayneval avait tracé les bases d’un accord, et se croyait obligé d’insister sur la nécessité d’une entente. D’après l’agent de M. de Vergennes, la première clause du contrat devait être l’évacuation d’Elburg et d’Hattem par Guillaume V. Le désarmement opéré par les états de Gueldre et d’Utrecht amènerait la Hollande à adopter les mêmes mesures, et la charge de capitaine général pourrait être rendue au prince. La princesse prit lecture de la lettre de Rayneval et conseilla au ministre de Prusse de ne pas la communiquer tout entière à son mari. Malgré cette réserve, malgré les conseils de M. de Goertz, le stathouder parut décidé à ne pas céder. Wilhelmine de Prusse fit savoir à M. de Goertz qu’elle voulait, avant de répondre, connaître l’avis de Frédéric-Guillaume. Il eût mieux valu pour le prince, comme pour la princesse, que la réflexion fût plus longue ou les conseils de Frédéric-Guillaume plus précis. Ils eussent peut-être hésité à envoyer la lettre que la femme du stathouder adressa, le 1er décembre 1786, au comte de Goertz. Malgré des réticences assez maladroites et un assez grand abus des termes de droit, c’était un refus formel de consentir à toute concession avant que la charge de capitaine général eût été rendue au prince. Ai-je besoin de dire la colère, l’indignation même de M. de Rayneval en recevant communication de cette pièce, dont il «‘eut connaissance que le 3 janvier? Il écrivait sur l’heure à Vergennes : « Un prince de Nassau, qui a la morgue ou l’imbécillité de faire traiter ses affaires par sa femme, qui se refuse de la manière la plus indécente aux conseils de son beau-frère roi de Prusse, qui rejette les moyens de conciliation que lui a proposés le roi de France, tout cela me semble le comble de la démence. » M. de Vergennes donna l’ordre à Rayneval de quitter La Haye. « Quel que soit l’événement pour le stathouder, et, selon moi, il ne peut être qu’infiniment fâcheux, nous le verrons avec autant de tranquillité que d’indifférence. » Dans une seconde lettre datée du même jour, Vergennes allait jusqu’à dire : « Au surplus, monsieur, avant de quitter la Hollande, vous voudrez bien assurer les patriotes de toute l’estime du roi, des vœux qu’il fait pour que leur cause triomphe, parce qu’il la regarde comme inséparable du bien-être de leur patrie. » Quelques mois auparavant, M. de Vergennes avait déclaré dans une dépêche longuement motivée, que le roi ne pouvait pas et ne devait pas être chef de parti. Les circonstances avaient été plus fortes que la volonté un peu indécise du ministre. Frédéric le Grand écrivait jadis à son frère le prince Henri : « La fortune m’est revenue. Envoyez-moi les meilleurs ciseaux que vous pourrez trouver pour que je lui coupe les ailes. » Les patriotes ne surent pas user d’un moyen aussi énergique.