Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 74.djvu/15

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pacte avec Iahvé[1]. À l’origine, Iahvé crée le monde, qui s’enfonce tout d’abord dans les voies d’une civilisation profane et impie. Le déluge ne suffit pas à le ramener ; Iahvé se constitue alors une tribu d’élection, avec laquelle il fait un pacte spécial. Il tire le chef nomade Abraham de la Chaldée, l’attache à son culte et promet de donner en retour à sa postérité la possession exclusive de la terre de Chanaan. Par suite de diverses aventures, la famille élue devient esclave en Égypte. Iahvé la sauve par un envoyé céleste, Moïse, qui lui sert d’intermédiaire pour donner à la nation un code complet, embrassant à la fois les choses de l’ordre profane et celles de l’ordre religieux, Iahvé promet que, quand le peuple observera cette loi, il sera heureux ; quand il la violera, tous les malheurs fondront sur lui. Josué réalise cette promesse par une suite de victoires et de miracles. La terre de Chanaan est conquise et partagée entre les tribus fidèles. Une sorte de domesday-book théocratique est établi sous la sanction divine ; le pacte entre Israël et Iahvé est fondé à jamais.

Tel est le livre, parfaitement complet, qui forme plus de la moitié de la partie historique de la Bible. La conquête de la Palestine en est la conclusion et la raison finale. C’est mutiler l’ouvrage que de l’arrêter à la mort de Moïse. Cette erreur capitale a eu une suite singulière. Le manque total de critique qui caractérisait l’antiquité fit réussir, en ce qui concerne l’auteur de cette Histoire sainte, ridée la plus arbitraire, la plus gratuite, la plus contraire aux textes, l’idée que Moïse en était l’auteur. Une telle idée n’aurait pu exister si on eût pris le livre dans son ensemble ; car il eût été trop fort de faire raconter à Moïse l’histoire de la conquête de Josué. En s’arrêtant à la fin du Deutéronome, au contraire, on n’avait à répondre qu’à une objection légère selon les idées du temps ; on admettait que le récit de la mort de Moïse avait été ajouté après coup, et tout était dit.

Comment le livre qui commence par ces mots : « Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre, » et qui finit à la mort de Josué a-t-il été composé ? Quels sont les élémens qui entrent dans sa composition ? À quelle date peut-on faire remonter chacun de ces élémens, et comment doit-on concevoir les diverses opérations qui les incorporèrent successivement au livre vivant d’Israël ? Tel est, avec la question de la rédaction des Évangiles, le plus important problème qu’ait eu à résoudre la critique moderne. Le problème du Pentateuque, ou, pour parler plus exactement, de l’Hexateuque,

  1. Quoique j’aie pour principe de garder les transcriptions reçues, même quand elles sont défectueuses, je m’interdis la forme Jéhovah, forme fabriquée avec les consonnes d’un mot et les voyelles d’un autre mot. C’est comme si on prononçait Paris avec les voyelles de Lutèce. Purèse serait un barbarisme que l’histoire sérieuse devrait s’interdire.