Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 74.djvu/174

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en gentilshommes; c’est une fête de grands seigneurs plus qu’une orgie de bandits. Zampa lance son couplet bachique d’une voix qui ne tremble pas. Il faut être maître de soi pour lever aussi haut son verre, pour rythmer aussi fièrement un toast magnifique. Il y a quelque chose de Byron dans ce personnage de Zampa et dans ce brindisi de patricien.

Tous les épisodes du finale sont dignes les uns des autres : l’entrée tremblante de Dandolo, l’outrage à la statue, et la bague retenue par le doigt de pierre. Après chaque incident, le thème principal est repris, soit par Zampa seul, soit par le chœur, tantôt hardi et provocant, tantôt alourdi par le progrès de l’ivresse et de la terreur. Zampa commence lui-même à se troubler, et le simple changement du rythme, quelques triolets chancelans suffisent à l’indiquer. N’entrons pas dans le détail, il faudrait tout signaler. Pas plus que la couleur, le dessin ne manque au tableau, compris tout entier dans des lignes harmonieuses, qui l’encadrent sans l’étouffer.

Des deux célèbres finales de Zampa, le premier est le meilleur. Le second acte est le moins bon des trois. Il contient pourtant une jolie prière, un grand air de Zampa : Toi, dont la grâce séduisante, dont l’allégro est démodé, mais dont la première phrase est belle. Le trio bouffe, analogue à celui de l’acte précédent, ne le vaut pas. Le duo avec Alphonse est médiocre. Ce pauvre Alphonse, d’ailleurs, s’efface à côté de son rival : il n’en a pas l’allure chevaleresque. Mais il soupire au troisième acte une délicieuse barcarolle. Herold a souvent de ces accents plaintifs, sans amertume ni violence. Était-ce instinct secret de sa brève destinée? Était-ce la mort vaguement entrevue? Se disait-il, comme le Socrate du poète :


Je suis un cygne aussi; je meurs! je puis chanter!


Le troisième acte de Zampa s’achève par un duo dramatique. Presque jamais la musique n’avait encore été aussi ardente que dans cette œuvre, moins égale peut-être, mais plus chaude que le Pré aux clercs. Plus emporté que Mergy, Zampa sait être aussi tendre. Sa cavatine : Pourquoi trembler? est respectueuse et presque craintive comme un premier aveu d’amour. Le beau rôle que ce rôle de ténor! Qu’il a d’éclat et de grâce tout ensemble! Quel relief, et surtout quelle simplicité ! Comme cet art est sans détours et sans arrière-pensées !

Deux ans après Zampa, fut représenté le Pré aux Clercs. Entre le romancier et le musicien les nuances s’accusent de plus en plus. Mérimée donne à son récit la précision, mais un peu la sécheresse d’une gravure. Il a la vision prompte, l’imagination sobre, le trait