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ont mis un ou deux siècles à se former et à se recueillir, tandis que le Deutéronome est un livre composé en quelques jours et d’une seule inspiration.

Nous sommes convaincus qu’une étude ultérieure amènera les critiques à modifier sur ces deux points et sur quelques autres l’opinion de MM. Graf, Reuss, Wellhausen. Oui, l’Histoire sainte élohiste est postérieure à l’Histoire sainte jéhoviste; mais elle ne l’est pas d’autant que le croient ces maîtres éminens. Oui, le code lévitique est relativement moderne et, pour les parties essentielles, postérieur à la captivité ; mais il n’a aucun lien avec l’Histoire sainte élohiste, qui, moins mythologique que l’Histoire sainte jéhoviste, a néanmoins le caractère de la plus belle antiquité. Enfin, une lacune singulière dépare les travaux de la nouvelle école, plus habile aux découvertes du microscope qu’aux larges vues d’horizon. On dirait que ces doctes critiques n’ont pas d’yeux pour voir, en sa grosseur capitale, ce fait : que le rédacteur jéhoviste cite un écrit antérieur, dont le caractère peut être clairement saisi ; c’est le livre du Iaschar, ou livre des Guerres de Iahvé, composé d’anciens cantiques. Nous trouvons la trace de ce livre dans les parties jéhovistes du livre des Nombres ; nous le retrouvons dans Josué ; selon nous, il fait le fond du livre des Juges, et il a fourni les plus beaux élémens des livres dits de Samuel.

Ce qu’il y a de remarquable, en effet, c’est qu’autant l’Hexateuque est séparé des livres qui le suivent par sa composition en matériaux alternans, autant la fin des Nombres et certaines parties de Josué offrent d’analogie pour les sources avec les Juges et les récits héroïques des livres dits de Samuel. Le livre des Juges presque tout entier nous offre à la surface le terrain que, dans les plus anciennes parties du Pentateuque, nous ne trouvons qu’en filon et en sous-sol. C’est ce qu’on aurait vu plus tôt, si, au lieu d’être cultivées par des théologiens, ces études eussent été entre les mains de savans habitués au grand air de l’épopée et des chants populaires. On eût reconnu alors qu’avant la rédaction du récit jéhoviste, livre essentiellement religieux, il y eut un épos national, contenant les chants et les récits héroïques des tribus. Ce livre s’arrêtait, selon toute apparence, à l’avènement de David, à la fin de sa jeunesse aventureuse, quand les brigands de Sicéleg sont tous casés et que les folles aventures des âges antérieurs font place à des soucis beaucoup plus pacifiques et à des calculs plus positifs.

Avec David, en effet, nous entrons dans l’histoire véritable, l’histoire documentée. Les règnes de David et de Salomon, les règnes parallèles des rois de Juda et d’Israël eurent leurs annales, rédigées, selon les procédés de l’historiographie orientale, par des soferim ou mazkirim, gens de plume attitrés. De maigres extraits nous sont parvenus