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et lui donne la prestesse et la légèreté. Quelle folle équipée que celle des deux novices ! Comme Auber a sauvé de la vulgarité cette aventure de carnaval, ce bal masqué, ce souper de garçons, et ce tableau, finement satirique, d’un couvent de religieuses! Il s’est gardé, comme il le fallait dans une œuvre aussi mince, de la lourdeur et de la caricature ; il a glissé, sans insistance, sur le babil des nonnes, sur leur onction dévote, sur mille détails qu’il était spirituel d’indiquer seulement. Son tact exquis l’a préservé aussi d’un sentimentalisme fade. L’amour, la passion seraient ici de bien grands mots : Horace est plutôt galant et Angèle coquette ! Une fois seulement leur voix s’émeut et le cœur leur bat : dans le touchant cantique du troisième acte. Cette justesse du sentiment et du ton donne au Domino noir un charme particulier. Il faut y ajouter l’attrait d’une facture musicale toujours ingénieuse, toujours coquette, d’un orchestre varié, pimpant comme les mélodies qu’il accompagne; un soin, assez rare chez Auber, des détails, des rôles secondaires, tels que ceux de la dame Jacinthe et de Pérez, le portier du couvent.

En se reconnaissant la quantité seulement, Auber était décidément un peu sévère pour lui-même : une fois au moins il eut la qualité.


III.

C’est après Auber qu’il faut dire quelques mots d’Adolphe Adam. Musicien moins consommé qu’Auber, il eut un peu les mêmes qualités et les mêmes défauts : peu d’idéal, mais beaucoup d’idées. Lui non plus ne fut pas un poète. Sa musique aime la comédie et l’intrigue; elle s’y joue avec aisance. Elle glisse à la surface et ne pénètre pas. Jamais prétentieuse, rarement ennuyeuse, souvent agréable, elle a de l’esprit, mais pas d’âme. Quoique disciple de Boïeldieu, l’un des plus émus de nos maîtres, Adam, comme Auber, semble fuir l’émotion.

Ses œuvres les plus populaires ne sont pas les meilleures : le fameux Postillon de Longjumeau, malgré de bonnes pages, comme le finale du premier acte, où se trouve même un soupçon de fugue; le Chalet surtout, pauvre et vulgaire, ne valent ni le Toréador, ni Si j’étais roi, ni Giralda. Ces trois opéras comiques sont aimables et mélodieux, écrits avec élégance et facilité, menés avec la prestesse d’opérettes de bonne compagnie. Dans les deux derniers même, on trouve parfois quelque tendresse et comme un vague écho de Boïeldieu.