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autre encore : « Ou l’amour n’est qu’un vain mot, ou ce moyen doit me la rendre[1]. »

Scribe, il est vrai, n’eut pas, en composant l’Étoile du Nord, toute sa liberté d’invention. Meyerbeer, qui ne voulait pas que dans ses œuvres rien se perdît, avait gardé comme noyau de sa partition le Camp de Silêsie, cantate patriotique et militaire composée par lui en l’honneur du roi de Prusse Frédéric II. La transformation de la cantate prussienne en opéra russe exigea des rajustemens. Rien néanmoins, fût-ce un ravaudage forcé, ne saurait justifier pareil livret et pareil style.

La musique même a souffert de ces remaniemens. La partition de Meyerbeer est inégale ; elle trahit tour à tour une aisance géniale et l’effort d’un grand esprit à l’étroit. Quoi de plus libre, de plus dégagé que certaines pages du premier acte : le début des couplets de « la diplomatie, » l’exorde coquet du duo de Catherine avec Peters? Meyerbeer n’a rien écrit de plus puissant que le chœur des buveurs, avec le rythme inflexible des gobelets entrechoqués, et la foudroyante rentrée des instrumens à vent. Quelle carrure et quel aplomb ! Style d’opéra, je l’accorde, mais qui ne messied pas ici. Voici maintenant un tableau de genre : la noce de Prascovia, le joli chœur qui l’annonce, et les couplets exquis de la petite mariée finlandaise, vraie figure d’opéra comique, celle-là. Le duetto des deux femmes : Quinze grands jours! est étincelant, et la barcarolle de Catherine achève l’acte avec poésie. La jeune fille a pris la place de son frère et ses habits de soldat. Mais, avant de partir, elle salue une dernière fois le village qu’elle abandonne, et le frère qu’elle laisse à ses amours. Son chant s’élève, porté par les harpes, très calme et très pur, avec des résonances de cristal. Cette mélodie est tendre, mais d’une tendresse particulière. Meyerbeer a rendu là une de ces nuances d’âme qu’il excelle à saisir : une affection de sœur aînée, un peu maternelle, dévouée et protectrice. Cette page exprime un sentiment et une sensation. Debout sur la jetée, Catherine regarde les flots. Les matelots chantent et se rapprochent. Ils viennent la chercher. Toujours chantant, la jeune fille s’embarque avec eux, et disparaît. Dans ces vocalises à peine murmurées, dans ces notes aériennes qui s’égrènent toujours plus faibles, se retrouve la sonorité des voix lointaines sur l’eau, la mélancolie des adieux marins, et la lente disparition des voiles.

Le second acte n’est pas à la hauteur du premier. Le tableau du

  1. Lors de la dernière reprise de l’Étoile du Nord à l’Opéra-Comique (octobre 1885), on a remplacé la prose par les récitatifs que Meyerbeer avait écrits pour les représentations italiennes. Ces récitatifs sont médiocres et ne valent guère mieux que le dialogue auquel ils succèdent.