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esquisse antique de Narcisse. Lui du moins saurait faire courir sur les flancs de Galathée le frisson voluptueux, mettre dans ses yeux comme dans ceux d’Eve l’étonnement du premier regard, sur ses lèvres le désir du premier baiser. Il exprimerait la soudaine effusion de l’âme entrant comme en un temple dans ce corps si beau ; il traduirait les vers d’Ovide :


dataque oscula virgo
Sensit, et ernbuit: timidumque ad lumio a lumen
Attollens, pariter cam cœlo vidit amantem.


Massé ne connut jamais les délicatesses de la pensée, surtout de la pensée antique : il n’était pas de ceux qui s’inquiètent de la blancheur des marbres. Son œuvre est plus qu’un contresens : presque un sacrilège ; elle offre, au lieu du type idéal de la femme, le type grossier de la fille. Il fallait avoir bien peu l’intelligence de la fable et l’instinct de la beauté pour mettre sur des lèvres à peine écloses une chanson à boire. Et quelle affreuse chanson ! Si Massé tenait à faire boire sa Galathée, comment la laisser boire ainsi? La malheureuse s’enivre, ou plutôt se grise sans que son ivresse atteigne même à la grandeur de l’orgie antique. Si du moins elle avait du vin l’enthousiasme et le délire sacré, si elle chantait le dieu, si elle chantait :


Evoë, Bacchus et Thyonée,
Et Dyonise, Evan, Iacchus et Lénée,
Et tout ce que la Grèce eut pour lui de beaux noms!


Mais, de ce sujet, Massé a tout dégradé, tout profané. L’air fameux de Ganymède : Ah! qu’il est doux de ne rien faire! n’est qu’un long bâillement. Le loisir antique ne ressemblait guère à cette lourde paresse. Dans Galathée, le style est digne de la pensée ; la forme est aussi vulgaire que le fond. Le rythme est toujours trivial, l’harmonie indigente, le comique bas. Cependant, cette œuvre où manquent l’esprit et la poésie, plaît à la foule. La Bruyère aurait dit peut-être ; « Elle est le régal de la canaille! »

Le chef-d’œuvre de Félicien David, Lalla-Roukh, est, au contraire, le mets des plus délicats. Cet opéra comique est le premier, le seul peut-être, où domine le sentiment de la nature. On pourrait l’appeler un paysage musical. Son originalité et sa beauté tiennent à Cette couleur pittoresque, à ce genre descriptif, dont le musicien du Désert fut le précurseur, et qui, jusqu’ici, n’a pas trouvé de messie.

Un opéra comme les Huguenots, un opéra comique comme le