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qui ne tirent pas à conséquence. Berlin vaut ce qu’il vaut, et noué sommes prêt à déclarer qu’on y trouve des gens fort aimables, que nous y avons fait des séjours assez prolongés sans y avoir un instant d’ennui.

Croirons-nous que les juges qui ont condamné M. Kraszewski avaient découvert dans son livre quelque sens allégorique qui nous échappe, que son héroïne, cette femme sans cœur, dont les lèvres crispées et serrées annoncent une implacable ambition, dont le regard exprime l’orgueil d’une intelligence lucide et froide, et la résolution de gagner coûte que coûte le gros lot à la loterie de la vie, d’épouser un grand nom et des millions, est dans la pensée du romancier le symbole d’une politique sans entrailles, incapable de faire une part au sentiment et à la générosité dans les affaires de ce monde? Admettons contre toute vraisemblance que M. Kraszewski ait eu cette coupable intention ; M. de Bismarck pourrait-il s’en offenser? n’a-t-il pas déclaré plus d’une fois que le sentiment est un vocable indigne de figurer dans le glossaire de la politique? Non vraiment, ce n’est pas là le grief; le vrai tort de M. Kraszewski est d’être un Polonais, dont toute la Pologne fêtait récemment le jubilé, et un patriote qui n’oublie pas le passé, qui se souvient, qui regrette. Mêle-t-il à ses regrets de secrètes espérances ? Nous en doutons, car nous lisons dans son livre a que tout s’accomplit en ce monde par une loi de fer, une loi inexorable, que c’est là le grand principe et la profonde pensée de la législation de Moïse, que la destinée ne se laisse point fléchir ni détourner de ses fins, que la rémission n’existe pas, que ce qui est fait est bien fait et devait arriver, que Hegel est venu confirmer le prophète juif. » Mais n’eût-il commis qu’un péché de regret, sans y ajouter aucun délit d’espérance, il aurait mérité sa disgrâce. Comme on n’a pas encore inventé d’instrument pour fouiller au fond des âmes et pour en arracher les souvenirs criminels, faute de mieux, on condamne les gens à passer quelques années dans la forteresse de Magdebourg, ce qui est assurément le meilleur moyen de leur faire prendre leur maître en goût, de les réconcilier avec leur sort et de leur en faire savourer les douceurs.

Les Polonais étrangers qu’on a expulsés des provinces orientales de la monarchie prussienne n’écrivaient point de romans et n’étaient pas notés dans les registres de la police comme des têtes chaudes et des fauteurs de troubles. Commerçans, courtiers, agriculteurs, ouvriers, manœuvres, ils étaient fort inoffensifs, on n’avait rien à leur reprocher, et assurément la pauvre vieille servante à qui on a donné quelques jours à peine pour empaqueter ses nippes et passer la frontière n’était point un danger public. Mais Hérode, mécontent de ses mages, avait décrété ce massacre des innocens. il avait été stipulé dans un article de la convention de commerce conclue en 1818 entre la Russie et la Prusse que tout sujet du royaume de Pologne pourrait s’établir