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à conclure, une fortune à défendre, un barbon à tromper, — à moins que ce ne soit une respectable mère, comme dans les Intrigues d’une soubrette. Toutes enfin, comme les nôtres, côtoient de près la réalité, s’y efforcent du moins, mêlent volontiers à l’agrément d’une intrigue amusante les leçons d’une sagesse moyenne, un peu vulgaire, mais qui sont celles dont on a besoin pour la pratique de la vie. Même, il n’est pas jusqu’aux lauréats des concours littéraires qui n’y jouent le rôle aimable et avantageux que l’ingénieur sorti de l’École polytechnique a joué longtemps dans les pièces de Scribe ou de son école. On peut, on doit le dire : la comédie de Tching-té-hoei ou celle de Tching-koué-pin, — ce sont des noms d’auteurs, et même d’authoress, — est plus près de nous pour le ton, pour les mœurs, pour la disposition de l’intrigue et sa nature, que la comédie d’Aristophane ou le drame d’Eschyle, Et, tandis que partout ou presque partout ailleurs, ce sont les ressemblances que l’on s’applique à saisir pour les mettre en lumière, ici, au contraire, dans le théâtre chinois, c’est sur la différence, uniquement, qu’il convient d’insister.

« Le personnage qui chante » en fait la principale. Dans les pièces du siècle des Youen, un personnage, qui d’ailleurs prend part à l’action, si même on ne doit dire qu’il la conduit, élève quelquefois la voix, et, sur des airs notés, chante une partie de son rôle au lieu de le déclamer. « c’est ce personnage qui constitue l’originalité de notre scène, » dit M. Tcheng-ki-tong, et M. Bazin avant lui y avait reconnu « le trait essentiel qui distingue le théâtre chinois de tous les autres. » Je crains qu’ils ne se trompent tous deux. Sans doute, j’aurais besoin, pour parler en toute assurance, de connaître plus de pièces que je n’en ai pu lire dans les traductions, mais enfin, dans l’ancien Vaudeville, dans le théâtre de la Foire, dans l’ancien Théâtre-Italien, ne l’ai-je point déjà rencontré, ce « personnage qui chante; » et que veut-on que je voie en lui de si particulier, de si rare, de si original? Supposé même qu’il soit, comme on fait observer, le représentant du poète au milieu de l’action, qu’il serve à guider dans une intrigue un peu complexe l’attention du spectateur, qu’il ait pour mission de mettre en évidence l’utilité morale de l’œuvre, c’est le raisonneur des comédies de Molière, c’est le fou des drames de Shakspeare, et voilà longtemps qu’il nous est familier. Ce serait, d’ailleurs, une question de savoir si son rôle est vraiment et toujours celui que l’on nous dit. Ils sont en effet, quelquefois, plusieurs « personnages qui chantent; » ils chantent souvent pour dire des banalités ou faire des plaisanteries qui n’importent pas plus à la conduite de la vie qu’à celle de la pièce ; et j’ai peine à voir dans leurs ariettes « le génie même du poète parlant au spectateur. » Dana des œuvres d’un art savant et même raffiné, « le personnage qui chante » n’est rien de plus,