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à celle d’aucun autre. Iahvé a fait pour Israël des choses qu’aucun dieu n’a faites pour son peuple. Les vieux souvenirs d’Our-Casdim et de Harran remontaient en la mémoire ; une histoire sainte se dressait. Les prophètes apparaissaient comme les guides inspirés d’Israël ; or, le premier des prophètes n’était-ce pas ce Mosé qui tira le peuple d’Egypte? Et le premier auteur du pacte n’était-ce pas cet Abraham, issu des fables babyloniennes, qui apparaissait dans le lointain comme le père de la civilisation?

Ces idées s’agitaient dans tout Israël, mais principalement dans les tribus du Nord, parce que la liberté et l’activité religieuses étaient là bien plus grandes. A Jérusalem, le temple était une gêne, et le sacerdoce, bien que peu organisé encore, avait ses effets ordinaires d’appesantissement et de lutte contre l’esprit. La crise soulevée par l’école prophétique, du temps d’Achab, avait donné aux questions religieuses une saillie extraordinaire. On avait bien les le livres de légendes patriarcales et héroïques, rédigés il y avait une centaine d’années ; mais ces livres n’avaient point un caractère assez exclusivement religieux. C’étaient des recueils d’anecdotes et de chants populaires, pleins d’intérêt et de charme; ce n’était pas livre sacré dont un peuple fait son tabernacle et sa vie. On sentait le besoin d’un livre contenant le dogme fondamental de la religion. Ce dogme était tout historique ; c’était l’exposé des phases successives du pacte de Iahvé avec son peuple. Il était urgent de rédiger en un corps unique les élémens d’histoire que l’on possédait ou croyait posséder. L’œuvre capitale d’Israël grandissait à vue d’œil ; une transformation profonde s’opérait ; l’Histoire sainte naissait.

Le livre des Légendes, en effet, était loin d’avoir épuisé la tradition orale, et en particulier cet ancien fonds d’idées babyloniennes dont le peuple vivait depuis des siècles ; beaucoup d’élémens de tradition orale flottaient à côté des maigres documens écrits. Il semble, en particulier, que le vieux livre n’avait aucun récit sur la création et sur l’apparition de l’humanité. Les dires, à cet égard, étaient interminables et discordans. Cela se racontait en séries mnémoniques, susceptibles de très fortes variantes. Cela s’enseignait jusqu’à un certain point, et peut-être les longs loisirs des navoth ou séminaires prophétiques étaient-ils occupés à réciter ces vieilles légendes. Tout ce qui concernait Moïse manquait de rédaction suivie. La plupart des généalogies, enfilées en chapelet, étaient également sues par cœur; mauvaise condition pour leur intégrité! Plusieurs, cependant, pouvaient déjà être écrites. Le livre des Guerres de Iahvé était un vrai trésor; mais il ne remontait pas au-delà des premières batailles que les Israélites livrèrent, en s’approchant de la Palestine, à la hauteur de l’Arnon.

Ce qui faisait surtout défaut dans le» livres d’histoire iahvéiste