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après celle de l’homme ; que l’homme y était créé mâle et unique, puis la femme tirée de l’homme, tandis que, d’après le récit hiérosolymite, les hommes sont créés en nombre, les uns mâles, les autres femelles. Le récit du paradis et de la chute manquait sans doute dans le récit hiérosolymite ; car à la phrase finale : « Voilà les généalogies du ciel et de la terre, quand ils furent créés, » faisait suite immédiate la phrase : « Ceci est le livre de la généalogie d’Adam » (Gen., ch. V).

S’il est vrai que le narrateur du Nord, par son récit du paradis et de la chute, a été le fondateur de la philosophie du péché et du christianisme à la manière de saint Paul, on peut dire que le narrateur hiérosolymite, par son début, a créé la physique sacrée qu’il faut à certain état d’esprit où l’on tient à n’être qu’à moitié absurde. Cette page a été comme le coup de balai qui a nettoyé le ciel, en a chassé les monstres, les nuages mythologiques, toutes les chimères des anciennes cosmogonies. Elle a répondu à ce rationalisme médiocre, qui se croit en droit de rire des fables parce qu’il admet une dose aussi réduite que possible de surnaturel ; puis elle a sensiblement nui au progrès de la vraie raison, qui est la science. L’opposition que le christianisme scolastique a faite, depuis le XIIIe siècle jusqu’au XVIIIe , aux saines méthodes de la science est venue en grande partie de cette page, à quelques égards funeste, qui rend presque inutile la recherche des lois naturelles. Mieux vaut la franche mythologie qu’un bon sens relatif, qu’on arrive à tenir pour inspiré. Les cosmogonies hésiodiques sont plus loin de la vérité que la première page de l’élohiste ; mais, certes, elles ont fait moins déraisonner. On n’a pas persécuté au nom d’Hésiode, on n’a pas accumulé les contresens pour trouver dans Hésiode le dernier mot de la géologie.

Le vrai, c’est que la belle page par laquelle s’ouvre la Genèse n’est ni savante à la façon de la science moderne, ni naïve à la façon des cosmogonies païennes. C’est de la science enfantine ; c’est un premier essai d’explication des origines du monde, impliquant une très juste idée du développement successif de l’univers. Tout nous invite à chercher l’origine de cette théorie cosmogonique à Babylone. Ce qui caractérisa la science babylonienne, ce fut l’idée d’une explication de l’univers par des principes physiques. La génération spontanée et la transformation progressive des espèces y furent toujours à l’ordre du jour. Une idée de l’échelle des êtres depuis le végétal jusqu’à l’homme s’offrait dès lors naturellement à l’esprit. Le nombre sept était depuis longtemps sacramentel à Babylone ; l’idée de sept étapes dans l’œuvre de la création se présentait d’elle-même. Une telle idée avait de plus l’avantage d’expliquer