Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 74.djvu/271

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Dans l’antiquité, un livre ainsi exploité, non-seulement n’était plus copié, mais disparaissait vite. On croyait qu’il avait fourni sa part à l’œuvre commune : on n’y tenait plus. Les anciens livres du Nord périrent de la sorte au moment de leur plein succès. Peut-être cette littérature exquise inspira-t-elle en mourant quelques pastiches aux lettrés du temps d’Ezéchias. Le charmant livre de Ruth nous est resté comme une épave indécise, mais en tout cas délicatement sculptée, de cette littérature idyllique qui se rapportait au temps des Juges comme à l’âge idéal de toute poésie.

Pour Salomon et ses successeurs, aussi bien que pour les rois d’Israël, on possédait des annales sérieuses, d’où l’on tira une histoire des rois de Juda et d’Israël, qui fut continuée à mesure. De là ces livres des Rois, qui sûrement n’avaient pas, au temps d’Ezéchias, la physionomie sèche et étriquée qu’ils ont aujourd’hui. Dès lors commencèrent aussi sans doute les Vies de prophètes, intimement liées à l’histoire des rois. Certains récits sur Élie et Elisée ont un caractère grandiose, qui les rapproche des plus belles pages du jéhoviste ; d’autres, au contraire, ont quelque chose de puéril. Nous inclinerions à croire que les grandes parties de cette légende furent écrites dans le Nord. Quant aux livres des Paroles ou Actes de Nathan le prophète, de Gad le Voyant, d’Ahiyah le Silonite, de Semaïa, d’Iddo, de Jehou fils de Hanani, cités par les Chroniques, il faudrait se garder de les prendre pour des livres distincts ; ce qui est vrai, c’est que, parallèlement aux livres des Rois, et quelquefois enchevêtrés avec eux, existaient des livres de Prophètes, rapportant leurs actes et au besoin leurs paroles. Ensuite, ces légendes, pleines d’exagération, furent fondues dans le texte beaucoup plus sérieux des historiographes ; l’auteur des Chroniques, surtout, en fit ses délices. Il arriva, pour la vieille histoire d’Israël, comme si l’on s’avisait de trouver que, pour la période mérovingienne, Grégoire de Tours est incomplet et qu’on cherchât à le compléter, sans souci de se contredire, avec Aimoinus, les légendaires et les plus faibles Vies de saints. Après la captivité, un abréviateur maladroit, tenant de près à Baruch et à l’école de Jérémie, fit, à coups de ciseaux, les livres des Rois que nous avons, chétif extrait taillé, avec l’esprit le plus partial, dans un vaste ensemble de documens. L’auteur des Chroniques, dans la seconde moitié du IVe siècle avant Jésus-Christ, connut une partie de ces mêmes documens, mais il en fit un usage encore plus mesquin.

Ainsi se forma, en quatre siècles à peu près, par le mélange des élémens les plus divers, ce conglomérat étrange où se trouvent confondus des fragmens d’épopée, des débris d’histoire sainte,