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Nombres et de Josué, en proportion considérable dans le livre des Juges et dans la première moitié des livres dits de Samuel.

Tout porte à supposer que le livre des anciennes chansons héroïques des Hébreux fut écrit dans les tribus du Nord bien plutôt qu’à Jérusalem. Le livre avait le caractère franc, libre, un peu barbare, sobre et ferme, de tout ce qui vient du royaume d’Israël. Ce qui est presque décisif, c’est que, dans la partie du livre relative à l’époque des Juges, il n’était presque pas question de Juda; les aventures héroïques se rapportaient surtout aux tribus du Nord. Les parties messéantes de l’histoire de David, ce qui concerne son singulier entourage dans la caverne d’Adullam, son séjour chez Akis, ses brigandages avoués, ses campagnes contre Israël, se comprennent aussi beaucoup mieux chez un narrateur du Nord, pour lequel David n’était qu’un aventurier hardi, que chez un narrateur de Jérusalem ou d’Hébron, pour lequel David était le fondateur de l’hégémonie de Juda. Peut-être, à vrai dire, la rédaction du livre des héros fut-elle double, comme cela eut lieu plus tard pour l’Histoire sainte. Il y eut peut-être la rédaction du Nord et la rédaction du Sud ; on pourrait même supposer que Sépher milhamot Iahvé fut le titre de l’une d’elles ; Sépher hay-yaschar, le titre de l’autre. Mais, à cette limite, toutes les suppositions deviennent arbitraires ; il vaut mieux ne pas trop s’y arrêter.

On comprend qu’un pareil livre, écrit à un point de vue simplement héroïque, ait dû paraître scandaleux à une époque d’orthodoxie, où le cohen et le nabi conquirent une importance qu’ils n’avaient pas eue dans les âges reculés. En usant comme ils devaient du vieux livre épique, les historiographes d’Israël y firent sans doute de nombreuses coupures ou retouches. Mais les soucis de l’apologétique n’étaient pas, à cette époque, fort rigoureux. Les historiographes laissèrent échapper, surtout dans la partie des Juges, une foule de détails qui prouvaient avec la dernière évidence que la législation supposée de Moïse n’existait pas à cette époque. De la sorte, l’histoire hébraïque, telle qu’elle nous est parvenue, s’est trouvée renfermer sa propre réfutation. D’une part, elle nous affirme que Moïse, avant l’entrée d’Israël en Chanaan, lui donna une législation complète ; de l’autre, elle nous raconte une foule d’histoires postérieures à l’entrée d’Israël en Chanaan, qui supposent notoirement que cette législation n’existait pas.

Moïse et Josué étaient-ils nommés dans le Sépher milhamot Iahvé ou dans le Iaschar? Cela est certain pour Josué. Le vers du chant sur la bataille de Gabaon (Josué, chap. X), extrait du Iaschar, semble supposer que Josué était nommé dans le récit en prose. Les aventures de Caleb, qui était évidemment un des héros du Sépher milhamot, ne sont guère séparables de celles de Josué.