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guerres de la république, où le patriotisme suppléait à tout, où lui seul donnait la victoire, où, comme l’a dit Gouvion Saint-Cyr, « on se purifiait en se battant ! » Et, pendant les accès de cette fièvre, il s’était, d’autre part, formé en Europe une ligue de sots et de fanatiques qui eussent interdit à l’homme la faculté de réfléchir et de penser, a l’image d’un livre leur donne le frisson, écrivait Mallet du Pan, le plus courageux défenseur des doctrines libérales; persuadés que, sans les gens d’esprit, on n’eût jamais vu de révolution, ils espéraient en venir à bout avec des imbéciles. » Combien sont peu nombreux, de tout temps, les esprits assez vigoureux et assez calmes pour conserver intacte et au-dessus des passions, d’où qu’elles viennent, leur foi dans le triomphe tardif de la liberté et de la justice pour tous !


II.

La chute de Robespierre tempéra sans doute l’action du gouvernement des jacobins, mais l’impulsion primitive avait été si forte qu’elle se fit sentir même après le 9 thermidor. La joie de la délivrance fut néanmoins immédiate et intense. Toutes les correspondances en témoignent. Mais la société bourgeoise se ressentit longtemps des ébranlemens causés par la Terreur; les fortunes privées étaient compromises. Hormis dans les villages abrités contre les clubs par la difficulté des communications, presque partout ailleurs les intérêts avaient été atteints ; les habitudes de la vie étaient non moins profondément troublées. Il fallait du temps pour que la régularité s’y rétablît. Ce fut la jeune génération, les fils de banquiers, d’industriels, les élèves des écoles centrales, les artistes qui prirent à cœur de mettre à la raison, dans les sections, dans les lieux publics, les agitateurs révolutionnaires. Les rangs de cette jeunesse bourgeoise s’étaient grossis à Paris de volontaires revenus de la frontière. Le jour où parut, dans l’Orateur du peuple, l’appel de Fréron, 12 janvier 1795, ils brisèrent dans tous les cafés le buste de Marat et ils allèrent applaudir avec frénésie, au théâtre, les couplets du Réveil du peuple.

Nous ne voulons pas peindre cette société du Directoire, où le bonheur d’être ensemble, de se retrouver, de se prodiguer les uns aux autres, dominait tout. On a trop généralisé les excentricités de ce monde qui avait un insatiable appétit de plaisir et qui cherchait l’affirmation de son libéralisme plus élégant que solide dans l’extravagance des costumes et dans une effrénée licence.

Certains romans contemporains donnent exactement les impressions du monde de la bourgeoisie sous le Directoire. Les réunions d’alors y revivent avec leur mouvement et leur tourbillon. Les murs