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caractères d’enfance poétique. L’Hellène croit à des forces divines plus nombreuses, plus radicalement distinctes que l’Israélite; le dieu grec est plus identifié avec son hiéreus que le dieu israélite avec son cohen; l’idée du dieu protecteur est encore plus forte chez l’Hellène que chez l’Israélite; le dieu de l’Israélite est plus susceptible de devenir le dieu universel que tel ou tel des dieux grecs, même Zeus ; on sent que Zeus ne réussira pas à tuer ses parèdres, tandis qu’on arrivera sans trop de peine à se figurer que Iahvé n’a pas de parèdre. Mais la théologie générale, de part et d’autre, est peu différente : l’intervention divine dans les choses humaines et naturelles est conçue comme une sorte de jet continu. L’idée du sacrifice est à peu près la même. Les idées sur les oracles sont identiques. Le serment, surtout le serment d’extermination, le hérem, sont plus terribles chez les Israélites et renferment un germe de fanatisme. Les sacrifices humains sont, de part et d’autre, à l’état de reste sporadique d’un mal antérieur. Le culte diffère peu; pas de temples; presque pas d’ustensiles de culte; le sacrifice ne se sépare pas du festin religieux, et réciproquement tout festin est un sacrifice ; la part des dieux ne manque jamais d’y être faite.

La morale surtout se ressemble. L’état général du monde est le brigandage, la guerre de tous contre tous. Les instincts de douceur et d’humanité qui sont au fond des grandes races inspirent cependant quelques règles dont les dieux ont souci. Les dieux veulent le bien très faiblement; cependant ils le veulent, et il y a des crimes qu’ils punissent. Ces punitions ont lieu ici-bas ; les âmes des morts sont sous terre, dans des lieux sombres, menant une vie morne et triste, fort ressemblante au néant. On réussit quelquefois à les évoquer de là. Y a-t-il une différence dans leur sort, selon qu’ils ont été plus ou moins criminels, plus ou moins innocens? La tendance vers l’idée de récompense et de châtiment d’outre-tombe est bien plus prononcée chez les Hellènes que chez les Israélites. On sent que, quand l’idée de la justice s’éveillera, l’Israélite voudra que cette justice s’exerce ici-bas, et que l’Hellène se consolera bien plus facilement des iniquités du monde avec les rêves du Phédon.

Israël a donc eu son recueil épique comme la Grèce, dans ce livre primitif des chants et des gestes héroïques, dont certaines parties, conservées dans les livres postérieurs, ont fait la fortune littéraire de la Bible. Répondant à un même idéal, la Bible et Homère ne se sont pas supplantés. Ils restent les deux pôles du monde poétique ; les arts plastiques continueront indéfiniment d’y prendre leurs sujets; car le détail matériel, sans lequel il n’y a point d’art, y est toujours noble. Les héros de ces belles histoires sont des adolescens, sains et forts, peu superstitieux, passionnés, simples et grands. Avec les récits exquis de l’âge patriarcal, ces anecdotes