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LE
POÈTE GRILLPARZER ET BEETHOTEN

Grillparzer’s sämmtliche Werke, 10 Bände. Stuttgart; Cotta.

Vous cherchiez un esthéticien et vous vous trouvez en présence d’un poète de génie ; comment cette bonne fortune m’advint, ce sera, si vous voulez, le sujet de cette étude. j’ai connu presque tous les poètes de mon temps, je tiens même à grand honneur d’avoir été l’ami de quelques-uns des plus illustres, et parmi ceux-ci, comme parmi les minores, il ne m’était encore point arrivé d’en rencontrer un seul pour qui la musique fût autre chose qu’un tiroir à lieux-communs plus ou moins variés. On la cite, on l’invoque à tort et à travers; « ses accens, ses accords, ses rythmes, ses mélodies, ses modulations » servent à l’ornement du morceau de peinture ; à ces termes du vocabulaire banal, presque toujours détournés de leur sens technique, se joignent complaisamment des noms de maîtres : Palestrina, Mozart, Pergolèse, Cimarosa, — ce dernier surtout qui, francisé, rime avec rose, — et c’est à peu près tout. Nos poètes ne sont pleins que de ces fades ritournelles dont s’importune l’oreille d’un dilettante de deuxième année et dont le goût d’un vrai connaisseur s’horripile. On trouve tous les jours des musiciens qui sont des poètes, mais un poète sachant la musique et capable de l’associer au propre génie de son art, était-ce donc qu’un pareil phénomène ne se rencontrerait jamais ? Vainement, nous l’avions cherché en France d’abord, puis en Italie, en Allemagne ; il existait pourtant, mais en Autriche, au pays de Haydn, de Mozart, de Schubert, et c’est là que nous avons à la fin déniché l’oiseau rare.