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lyriques comme sa prose en sont imprégnées et le connaisseur peut les parcourir à son aise sans y rencontrer aucun serpent ; point de ces lieux-communs risibles que les plus qualifiés emploient par ignorance, et, d’autre part, rien de didactique, une technique double, un cygne ayant navigué de naissance sur un lac où les deux sources mêlent et confondent leurs eaux.

D’autres ont chanté Mozart, personne ne l’a plus aimé ; il l’eut, pour ainsi dire, près du cœur dès sa première enfance : « La femme de chambre de ma mère était une ancienne choriste et se servait du libretto de la Flûte enchantée pour me faire épeler mes lettres. Nous passâmes ainsi bien des heures, elle, à me parler de la féerie où jadis elle avait figuré en jouant un singe, moi, à l’écouter sans me douter encore de tant d’autres merveilles que ces merveilles contenaient et dont je devais n’avoir la révélation que plus tard[1]. »

Vint ensuite le coup de foudre des Noces de Figaro; et, comme il avait cette fois dix-huit ans, ce fut le livre de l’amour qui tint lieu d’alphabet; il était dit que Mozart ferait toute l’éducation. La jeune personne qui chantait Chérubin, vue à travers le prisme de cette musique, emporta le cœur du poète. Quant à Don Juan, ce qu’il pensait de cette musique, on le devine, et je me borne à reproduire la manière dont il envisageait le poème : « Il se peut, en effet, que le texte de la partition de Mozart soit emprunté au Festin de Pierre et que da Ponte ait plus ou moins imité Molière, Dans tous les cas, l’imitation vaut un original, il y a là une expérience de ce qui convient à l’opéra, une science de la dramaturgie lyrique dont on ne saurait assez haut louer le mérite ; car remanier de la sorte, c’est créer. » — « Lui toujours ! » Ainsi par le Grillparzer; Mozart seul répond à son idéal de beauté classique et de suprême distinction. « Vous le dites grand? Oui, mais par la mesure, par ce dont il s’abstint non moins que par ce qu’il osa, sachant jusqu’où l’homme peut tendre et jamais ne visant au-delà; harmonieux en tout, même au risque de passer pour moindre. » Parmi les élégies de Grillparzer, j’en trouve une, et des plus touchantes, dédiée à la mémoire du fils de Mozart, « penché tristement, comme un saule, sur le mausolée de son père. »

Tout ce qui touchait au grand homme, il l’a chanté, sans même oublier l’ironique légende de ce fils écrivant, ô destinée ! d’obscurs quatuors dans l’éblouissement d’un tel soleil. Comme tous les penseurs, Grillparzer a ses quarts d’heure d’humeur noire, et c’est alors lui qui par le par la bouche de ses personnages : «Qu’est-ce que le bonheur? Une ombre. Qu’est-ce que la gloire? Un rêve, et moi,

  1. Grillparzer, Autobiographie, tome X des Œuvres complètes.