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au temps romain disparut. Ce désordre même offrait, il est vrai, à l’évêque de Rome l’occasion de faire sentir son autorité. Il essaya de maintenir les métropoles et de constituer un représentant régulier du saint-siège en Gaule, mais si l’autorité du pontife était reconnue en matière de foi et la primauté du siège de Pierre respectée, la monarchie pontificale n’était pas fondée ; le pape n’avait pas trouvé les moyens réguliers d’un gouvernement, et toutes sortes de circonstances graves, sur lesquelles il faudra revenir, l’empêchaient alors de les chercher. L’église gallo-franque fut donc abandonnée à l’anarchie ; il n’y eut plus de conciles ni par provinces ni par royaumes. La discipline se perdit dans la confusion générale.

Il n’y avait donc point de corps de l’église mérovingienne, partant point d’âme qui pût se chercher un emploi et se proposer des devoirs dont le plus visible et le plus urgent aurait été de porter la parole chrétienne parmi « les peuples voisins encore plongés dans la barbarie de l’ignorance naturelle. » Mais ce n’est point toujours la perfection d’un organisme qui produit la force, et l’impuissance ne naît pas nécessairement de l’anarchie. L’empire romain n’a jamais été plus faible qu’au temps où la machine administrative était le mieux montée, et l’église n’a jamais eu plus d’activité qu’à l’origine, c’est-à-dire au temps où le peuple et le clergé confondus formaient le « sacerdoce sacré » dont par le l’apôtre Pierre, et où l’esprit soufflait comme il voulait. La race française n’a jamais été plus vigoureuse ni plus féconde en grandes actions que pendant ce XIe siècle où la France n’eut pas de gouvernement. La race germanique au XIIIe siècle, alors que l’Allemagne, décomposée en seigneuries grandes et petites, en républiques et en corporations, n’avait plus ni armée, ni finances, ni lois, produisait ces milliers de volontaires, paysans, chevaliers, moines, marchands, qui prirent possession pour les mettre en valeur des pays de l’Est, et portèrent la frontière allemande de l’Elbe jusqu’au-delà de la Vistule. L’église mérovingienne, sans lois ni gouvernement, avait-elle cette énergie vitale ? Était-elle capable de produire des volontaires, des aventuriers de la foi ? Avait-elle conservé l’esprit de prosélytisme et de propagande ? Pour répondre à cette question, il faut savoir à quel point de son développement intellectuel et moral était arrivée l’église catholique au temps des Mérovingiens.


II.

L’église avait eu son âge héroïque intellectuel. Lorsque les apôtres, portant par le monde la première religion qui eût été faite non pour un peuple mais pour l’humanité, prêchèrent le royaume de Dieu où les hommes sont unis étroitement entre eux et