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avec le vénérable vieillard : à sa mort il reçut une précieuse relique, une serviette dont les fils détachés suffisaient à faire de grands miracles. Du côté paternel, Grégoire trouvait quatre saints personnages : saint Gall, l’évêque des Arvernes, qui, le jour où on le porta en terre, se retourna sur la civière de manière que sa face regardât l’autel ; saint Ludre qui, une nuit où des clercs s’appuyaient sur son tombeau, le secoua pour les rappeler au respect ; Léocadius, citoyen de Bourges, qui, étant encore païen, accueillit dans sa maison les premiers missionnaires du Berry ; Vettius Epagathus enfin, qui fut un des martyrs de Lyon au IIe siècle. Ainsi Grégoire remontait par une chaîne ininterrompue de bienheureux jusqu’au jour où le christianisme fut prêché en Gaule. Par eux il touchait aux apôtres, aux patriarches, aux prophètes et à la création. Comme il savait peu de choses, comme l’histoire du monde était pour lui contenue dans l’histoire de l’église, son regard, glissant sur l’antiquité profane presque évanouie dans le néant, atteignait le principium mundi où siégeait sur son trône l’indivisible Trinité. Il n’a qu’une notion très imparfaite de la succession des temps ; il rapproche et confond presque sur le même plan toutes les figures célestes, comme les vieux peintres représentaient leurs personnages et la nature sans perspective sur un fond d’or, Le « monde de l’âme, » comme il dit, lui apparaît sous des formes précises ; sa foi a besoin de ces représentations quasi matérielles ; mais, si grossière qu’elle soit, elle le transporte au-delà des misères qu’il voit autour de lui ; elle le fait vivre dans un monde enchanté, tout pénétré de divin, et c’est justice que ce compagnon des êtres célestes ait été reconnu saint après sa mort : l’église n’a fait que le laisser où il avait vécu, parmi les saints.

Grégoire est donc une exception dans l’église mérovingienne, et pour étudier l’action de cette église sur les peuples de la Gaule, il faut retrancher de la religion de l’évêque de Tours les traits qui l’embellissent. Il faut aussi placer à côté de lui et de quelques évêques bons et saints comme lui ces ecclésiastiques étranges, dont il étale les vices et raconte les crimes : l’évêque de Vannes Æonius, un ivrogne, qui, un jour, en pleine messe, poussa un cri de bête et tomba saignant de la bouche et des narines ; Bertramm et Pallade, qui se prennent de querelle à la table de Gondebaud et se reprochent leurs adultères et leurs parjures pour la plus grande joie des convives, qui rient à gorge déployée ; Salone et Sagittaire, qui vont à la guerre avec casque et cuirasse et font pendant la paix le métier de coupeurs de routes, s’attaquant même aux hommes d’église, comme ce jour où ils envahissent à la tête de leurs bandes la maison d’un évêque occupé à célébrer une fête, maltraitent l’hôte, tuent les convives et s’enfuient