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et de confraternité allemande ; il savait que l’empereur d’Autriche n’avait rien signé à Salzbourg, il était convaincu qu’il ne signerait rien à Paris[1].

Le comte de Bismarck poursuivait de vastes desseins, mais sans le roi Guillaume il ne les eût pas réalisés. On chercherait vainement dans l’histoire un ministre et un souverain se complétant si merveilleusement, elle ne présente pas d’exemple de deux volontés et de deux ambitions identifiées à ce point.


III.

L’Orient était alors profondément troublé. On se massacrait de- puis un an dans l’île de Candie. L’insurrection crétoise paraissait être le prélude d’un soulèvement général de toutes les populations chrétiennes. La fermentation était entretenue par la propagande active et entreprenante des comités slaves. Ceux qui représentaient la Russie officiellement prévoyaient une désagrégation de l’empire, ceux qui la servaient secrètement parlaient d’un démembrement imminent. La situation était inquiétante, mais elle n’avait pas la gravité qu’ils lui prêtaient; les agens russes substituaient leurs désirs à la réalité. La Turquie avait une vitalité latente qu’ils ne soupçonnaient pas. Les peuples qui ont rempli le monde de leur éclat et de leur grandeur ont l’agonie longue, ils mettent des siècles

  1. l’empereur était accompagné des archiducs Charles Louis et Louis-Victor. Le comte de Beust n’emmenait que le chef de son secrétariat et un conseiller aulique. Le train, après une courte halte à Strasbourg, arriva à midi à Nancy. L’empereur y passa la nuit. Il désirait s’arrêter dans l’ancienne capitale de la Lorraine, le berceau de sa famille. Marie-Thérèse, fille de Charles VI, le dernier rejeton de la maison de Habsbourg, avait épousé le duc François Ier , qui, en 1738, échangea la Lorraine contre le grand-duché de Toscane. Dès son arrivée, François-Joseph visita, en grand uniforme de maréchal, les tombeaux des ducs de Lorraine. Il s’arrêta avec émotion devant une inscription qui, sur le fronton de la chapelle, rappelait le courage et les vertus de ses ancêtres :
    PASSANT !

    ARRÊTE ET ADMIRE SOUS CES TOMBEAUX
    DANS CES DUCS DE LORRAINE
    AUTANT DE HEROS ;
    DANS LES DUCHESSES AUTANT DE FEMMES FORTES;
    DANS LEURS ENFANS
    AUTANT DE PRINCES NÉS POUR LE TRONE

    PLUS DIGNES ENCORE DU CIEL.

    Le lendemain, à trois heures de l’après-midi, François-Joseph arrivait à Paris. L’empereur Napoléon le reçut à la gare et le conduisit à l’Elysée, où l’attendaient la famille impériale e(les dignitaires de la cour.