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d’avoir, par leurs exactions éhontées, poussé les Indiens à la révolte en les affamant. Les adversaires du ministère établissaient, preuves en mains, que la misère des Indiens n’était que trop réelle. Dépouillés de leurs territoires de chasse cadastrés et mis en vente, ils s’étaient vus chaque année refoulés vers les montagnes Rocheuses. Les buffles, leur principale ressource, avaient disparu. En 1883, le trafic des peaux de buffles, à Saint-Paul, avait porté sur un chiffre de 150,000 ; en 1884, on en avait vendu 300. Parqués dans leurs réserves, les Indiens n’avaient plus pour vivre que les subsides du gouvernement, et ces subsides passaient par les mains d’agens prévaricateurs qui faisaient fortune à leurs dépens. On affirmait que, sur les 25 dollars par tête alloués aux Indiens, ceux-ci en recevaient à peine 5. Avec Riel, on accusait les agens de favoriser l’introduction de l’eau-de-vie et on rappelait le dicton cruel et brutal : « Le meilleur Indien, c’est l’Indien mort » (The best indian is a dead one). On produisait enfin des lettres de colons du nord-ouest déclarant que les Indiens en étaient réduits à se nourrir de porc pourri que leur donnaient les agens, ou à mourir de faim.

Pendant que Riel tenait en échec le général Middleton, Poundmaker, à la tête de ses Indiens, se préparait à attaquer Battleford, sur le bras nord du Saskatchewan, à 50 lieues environ de Batoché. La réserve assignée par le gouvernement canadien à Poundmaker et à sa tribu se trouvait dans le voisinage de Battleford. L’agitation inusitée des Indiens avait éveillé l’attention du commandant du fort chargé de surveiller la réserve. Un blanc, M. Arthur, retenu prisonnier par Poundmaker, réussit à s’échapper, à gagner le fort et à donner avis d’une attaque imminente. Le commandant détacha le chef de ses scouts, Ross, avec ordre de pénétrer, si possible, dans le campement des Indiens et de s’assurer de leurs projets ; en même temps, il envoyait avis à Battleford du danger qui menaçait la ville. À la faveur de la nuit, Ross réussit à se glisser dans le camp des Indiens et même à assister sans être vu à une conférence des chefs. Familiarisé avec la langue des Crees, il n’eut pas de doutes sur leurs projets. Pour lui l’occasion était trop tentante pour la laisser échapper. Rampant entre les herbes, s’abritant derrière les arbres, il rejoignit ses hommes, et au moment où les Indiens se séparaient, une décharge de carabines en abattait un certain nombre. Ne comprenant rien à ce dont il s’agissait, croyant à une méprise de leurs propres guerriers, ils couraient au hasard, les uns pour prendre leurs armes, les autres pour intervenir. Profitant de la confusion, Ross parvint à regagner le fort sans perte.

Le colonel Otter commandait à Battleford ; au reçu de la dépêche l’avisant du danger qui le menaçait, il résolut de le conjurer en le devançant. À la tête d’une colonne de 300 hommes de police et de