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prit, sachant ce que je faisais, j’ai tenu tête à un gouvernement qui avait perdu le sens et qui seul ici est coupable de trahison. »

Ceci dit, il se rassit. Conformément à la loi anglaise, le juge résuma les débats et termina son adresse aux jurés en leur déclarant que leur devoir était de condamner l’accusé s’ils n’estimaient pas qu’il fût atteint de folie et irresponsable de ses actes pendant leur exécution.

À deux heures et quart, le jury entra dans la salle de ses délibérations, et Riel se mit en prières. Une heure après, le chef du jury fit prévenir les juges qu’ils étaient d’accord sur le verdict. La cour reprit séance et les jurés furent introduits. Leur président, en proie à une émotion profonde, que trahissait sa voix entrecoupée par les larmes, déclara Riel coupable du crime de haute trahison, ajoutant que ses collègues et lui étaient unanimement d’avis de recommander l’accusé à la merci du gouvernement.

Le président de la cour se couvrit et prononça la sentence. Riel était condamné à être pendu. La recommandation du jury serait transmise aux autorités compétentes.

L’émotion fut vive dans tout le Canada quand on apprit la condamnation de Riel. Dans le nord-ouest et dans le Bas-Canada, la nouvelle provoqua un mouvement de colère et d’indignation. L’élément canadien français y dominait, et les sympathies pour Riel étaient profondes. Les uns voyaient en lui un héros dont la mort ferait un martyr ; les autres le tenaient pour un exalté ayant agi sous l’empire d’une idée fixe, obsédé de rêves et de visions, mais convaincu de bonne foi qu’il avait pour mission de faire rendre justice à ses frères persécutés, et blâmant hautement l’inertie et le mauvais vouloir du gouvernement à examiner des réclamations équitables. Ni les uns ni les autres ne croyaient d’ailleurs à l’exécution de Riel. La recommandation du jury leur semblait devoir entraîner une commutation de peine. Un vaste pétitionnement s’organisait, la presse franco-canadienne en prenait l’initiative et prodiguait au ministère les menaces et les protestations. À Montréal, à Québec, les manifestations se multipliaient en faveur de Riel.

Dans le Haut-Canada, au contraire, l’opinion publique se déchaînait contre lui. Les orangistes rappelaient avec indignation la part prise par Riel à l’insurrection de Red-River en 1869 et l’exécution de William Scott, l’un des leurs. Si, à cette époque, disaient-ils, le gouvernement avait agi avec plus de fermeté, l’insurrection de 1885 n’eût pas éclaté. Par faiblesse, par excès d’indulgence, on s’était borné à exiler Riel pour cinq ans, et il venait, par une prise d’armes nouvelle, tenter d’assouvir ses rancunes et ses colères. Non content de soulever les demi-blancs au nom de griefs imaginaires, il avait poussé les Indiens au meurtre, au pillage, à l’incendie, sacrifiant