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Un quart de siècle après que ce merveilleux cycle était fermé, Hugo restait dans notre imagination comme l’émancipateur du théâtre national. Les inventeurs du romantisme, Chateaubriand et Mme de Staël, Charles Nodier et Alexandre Soumet, n’étaient plus que les courriers du grand homme, ou plutôt ils avaient disparu : leur petite lumière d’aurore avait été absorbée par ce réflecteur, qui flamboyait comme plein soleil. Même le Henri III de Dumas père était éclipsé : le Cid, 1636 ; Hernani, 1830, voilà les deux dates fortunées de notre génie dramatique, celles de sa naissance et de sa renaissance. D’ailleurs, si Corneille comptait pour quelque chose, c’est que Victor Hugo l’avait pris sous son patronage, à l’exclusion de Racine, et désigné pour son précurseur. Ce pauvre Corneille ! Il avait fait ce qu’il avait pu, dans son temps, gêné par des règles absurdes; et ce qu’il n’avait pu faire, Hugo l’avait fait, pour la joie et l’honneur de ce temps-ci. Hugo, c’était un Corneille de plein vent, plus nourri de grand air et plus coloré que l’autre; un Corneille délivré, mis à l’aise, poussant son génie aussi profondément, aussi largement que Shakspeare. Et contre qui cette poussée ? Contre ces derniers successeurs de Corneille, justement, qui avaient pris un vil plaisir à resserrer leurs fers, qui prétendaient les garder et ne permettre à personne de marcher sans un carcan pareil au leur, contre ces esclaves qui se faisaient policiers; contre les continuateurs de Racine et de Campistron, M. Brifaut et M. Viennet, en attendant Casimir Delavigne et Ponsard. Et les fauteurs de ces «polissons,» qui étaient-ils? De misérables gens de bon sens, des bourgeois, des épiciers, et les écrivains qui ne rougissaient par de se faire leurs secrétaires, les « perruques » de l’Académie française, un M. Jay et ses complices,.. et puis, dans un coin, ce hargneux, Gustave Planche. Quelques bottes de foin, — les polémiques de M. Jay, — quelques fagots d’épines, — les articles de Gustave Planche, — avaient prétendu arrêter le génie; il avait passé outre, comme l’incendie, et l’obstacle avait volé en cendre.

Cependant le vainqueur était exilé; pourquoi? Parce qu’il était mal avec le gouvernement. Oui, nous l’entendions dire à nos pères ; mais il nous semblait, à nous, qu’il était proscrit comme révolutionnaire en littérature autant pour le moins qu’à titre de défenseur du droit populaire et de la légalité violée en politique. Et nous prenions plaisir à lire Marion Delorme et Lucrèce entre les classes, où, par ordre, nous récitions du Racine, autant qu’à lire, entre deux promenades aux Tuileries où l’on voyait passer l’empereur, les Châtimens et Napoléon le Petit prêtés par un grand ou par le pion. Nous n’étions pas sûrs que le coup d’état n’eût pas été fait par Boileau presque autant que par MM. de Morny et de Maupas, et pour chasser Victor Hugo de la scène et remplacer Racine presque autant que pour bousculer les représentans du peuple et mettre Napoléon III sur le trône. Oh ! ce Boileau et