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ou irritantes, qui n’existent que dans leur imagination, et à aggraver celles qui existent trop réellement. On ne s’occupe pas de ce qui intéresserait vraiment le pays ; mais on passe son temps à faire la guerre aux princes, ou l’on fait tout ce qu’on peut pour envenimer les malheureuses affaires de Decazeville. C’est le plus clair de l’histoire du jour.

Certes, s’il y avait une question inutile, c’est bien celle qu’ont imaginée, dans les dernières semaines, quelques esprits inoccupés et échauffés en proposant des mesures d’expulsion contre les princes, ou, pour parler le langage de certains républicains, contre les « citoyens » membres des familles qui ont régné sur la France. À quel propos ces mesures ? Les princes qui résident en France, comme ils en ont le droit, sont certainement étrangers à toute conspiration, à toute brigue vulgaire. Ils vivent sans chercher le bruit, sous les yeux de tout le monde ; ils sont l’honneur de leur pays, et si les républicains étaient à demi intelligens, ils comprendraient que la république elle-même, pour son crédit, pour sa considération, est intéressée à montrer à l’Europe qu’avec elle les descendans des races royales peuvent garder librement leur place au foyer de la patrie. C’est donc sans raison, uniquement pour le plaisir de s’agiter ou de satisfaire quelques passions haineuses qu’on a fait cette proposition qui ne répondait à rien, à laquelle M. le président du conseil a eu le tact de refuser son adhésion, en assurant qu’il n’en avait pas besoin pour la sauvegarde de la république. Qu’en est-il résulté ? La discussion est venue il y a quelques jours ; elle a été visiblement un peu embarrassante pour tout le monde, pour les auteurs de la proposition, qui se sont sentis peu soutenus, pour le gouvernement, qui, en refusant une arme inutile ou dangereuse, a cru nécessaire de ménager ses alliés les radicaux, pour M. Clemenceau lui-même, qui a joué un singulier rôle entre ses amis de l’extrême gauche, qu’il ne voulait pas abandonner, et le ministère, dont il voulait paraître le protecteur. Tout cela a fini par une certaine confusion de scrutin et par un simple ordre du jour qui n’est qu’une vaine démonstration, qui laisse les choses au point où elles en étaient. C’est ce qu’on appelle beaucoup de bruit pour rien.

Ce n’est pas fini, disent les fanatiques de mesures exceptionnelles, la question renaîtra dans trois mois ; il y a même un député radical qui a eu la velléité de substituer à la proposition d’expulsion des princes une proposition d’enquête sur les menées monarchiques. C’est fort bien ! Et qui fera cette enquête ? À qui l’appliquera-t-on ? Fera-t-on comparaître devant une commission les trois millions cinq cent mille électeurs suspects de menées monarchiques pour avoir donné leurs voix à des conservateurs ? Les républicains ne veulent jamais voir une vérité bien simple ; ils ne veulent pas s’avouer que, s’il y a un danger pour la république, ce danger ne vient ni des princes ni des conservateurs : il vient d’eux-mêmes, de leurs