Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 74.djvu/480

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de continuer la politique de lord Salisbury en Orient, et où, d’ailleurs, ministère et parlement ont devant eux pour le moment assez de questions intérieures faites pour les passionner, pour les occuper et les absorber. L’Angleterre, en effet, a tout l’air d’être entrée dans ce qu’on a appelé, en France, l’ère des difficultés, même des difficultés graves, et si le grand vieillard qui a repris le pouvoir depuis quelques semaines est homme à ne pas reculer devant des problèmes qui touchent à la constitution politique et sociale de la nation britannique, il ne paraît pas moins sentir le poids du fardeau qu’il a accepté. Il ne se hâte pas. Vainement ses adversaires le pressent, le harcèlent d’interpellations dans la chambre des communes, renouvelant sans cesse leurs provocations, s’efforçant de l’amener à s’expliquer sur ses projets, sur la politique qu’il médite, qu’il entend proposer pour l’Irlande : il ne se laisse pas entraîner, il refuse d’entrer dans des explications partielles et prématurées. Il a pris ses mesures, il a ajourné à quelques semaines, au mois prochain, l’exposé de ses plans, dont il entend, jusque-là, garder le secret. On dirait que M. Gladstone, en savant tacticien qu’il est, a voulu se donner le temps d’organiser sa campagne, d’accoutumer l’opinion à ses nouveautés, de s’assurer des alliés, de préparer, en un mot, de toute façon, le terrain sur lequel il doit engager la grande lutte.

C’est qu’effectivement le problème que le premier ministre de la reine Victoria se prépare à aborder est un des plus épineux, un des plus redoutables qu’une nation comme l’Angleterre puisse avoir à débattre et à résoudre. Il s’agit de donner une satisfaction aussi libérale que possible à une malheureuse race qui, après s’être nourrie passionnément de griefs séculaires, semble ne vouloir accepter que son indépendance ou ce qui peut la conduire à son indépendance. Rien, certes, de plus généreux en apparence, mais rien aussi de plus difficile. Comment M. Gladstone entend-il résoudre ce problème? On ne le sait pas encore, puisque rien n’a pu vaincre sa réserve. On sait seulement qu’il étudie les combinaisons pratiques, que tout se lie dans sa pensée, qu’il voudrait commencer par des mesures agraires destinées à désintéresser définitivement les anciens propriétaires, les landlords, et qu’il en viendrait ensuite à ce qu’on appelle l’autonomie irlandaise, au parlement irlandais. Or, c’est là justement le point délicat; c’est là que l’opinion s’arrête indécise, émue devant cette perspective d’une révolution qui peut ne conduire à rien si elle n’est pas radicale, ou qui, si elle est poussée jusqu’au bout, menace l’intégrité britannique. Il n’est point douteux que l’opinion anglaise se sent singulièrement agitée et partagée, qu’elle en vient à se demander si ce qui fera la faiblesse de l’Angleterre sera un bienfait pour l’Irlande elle-même. Et ce ne sont pas seulement des tories qui en sont là ; bien des libéraux éprouvent les mêmes anxiétés et hésitent à s’engager à la suite de