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racontant, trop fidèlement, le désastre dont il fut pars magna, et qu’il paya bientôt de la vie ; mais je fus témoin des débuts de Manuel, et j’eus la fortune d’entendre Bertrand Barère discuter gravement, à cent pas du lieu où avait siégé la Convention nationale, sur les avantages et les dangers de l’hérédité de la pairie.

Presque au même moment, il se jouait à Saint-Denis une autre farce. Le digne émule de Barère, l’ex-oratorien Fouché, de Nantes, autrement dit son excellence le duc d’Otrante, un monstre dégouttant, comme Barère, plus que lui s’il se peut, de sang, de fiel et de fange, consommait sa dernière trahison, la moindre à coup sûr de ses peccadilles, en prêtant serment entre les mains du fils de saint Louis, du frère de Louis XVI, aux acclamations des bons royalistes.

Il avait pour patron dans cette expédition l’ancien évêque d’Autun, lequel, après avoir jeté successivement aux orties son froc à la chute de la monarchie, sa toge à la chute du Directoire, et sa petite couronne de Bénévent à la chute de l’empire, était redevenu tout bonnement le prince de Talleyrand, premier ministre du roi très chrétien.

Quelle figure faisait entre eux le roi très chrétien ? Je ne m’en fais guère idée ; mais on m’a conté qu’en les voyant remonter ensemble en voiture, Pozzo di Borgo dit en riant à son voisin : — Je voudrais bien entendre ce que disent ces agneaux.

Blücher, entrant aux Tuileries avec ses Prussiens, en chassa la commission du gouvernement, que Fouché présidait encore. Entrant au Luxembourg, il en chassa la chambre des pairs, qui délibérait sous la direction de Cambacérès. M. Decazes, redevenu préfet de police, prit les clés de la chambre des représentans et laissa chaque membre se casser le nez contre la grille. M. de La Fayette essaya de la forcer et de piquer d’honneur à cet effet un poste de garde nationale, mais ce fut en pure perte.

J’assistai, de compagnie avec M. d’Argenson mais en simple spectateur, à ce 18 brumaire royal, qui mettait fin, pour la seconde fois, au premier empire, en attendant que j’assistasse, en patient, au 18 brumaire impérial qui congédia la seconde république. Dans l’intervalle, les Tuileries, le Luxembourg, le Palais-Bourbon avaient été deux fois emportés par le populaire. Je me sers du mot classique pour n’en pas employer d’autres.

On a beaucoup déclamé, on a beaucoup plaisanté sur la chambre des représentans. L’empereur lui-même ne s’en était pas fait faute en rappelant ces moines de Constantinople qui s’égosillaient sur la lumière du Thabor pendant que le bélier de l’ennemi battait à la porte : mais, en bonne foi, cette chambre, que pouvait-elle faire ?