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a-t-il joué dans l’histoire de la diffusion de la peinture flamande le rôle capital que l’on se plaît à lui attribuer ? Écoutons tout d’abord le Vasari des Flandres, Carel Van Mander, dont le Livre des peintres vient enfin de paraître, par les soins de M. Hymans, dans une traduction française. «  D’après l’opinion admise, dit le biographe, Jean Van Eyck, un homme instruit, versé dans les choses de son art, étudiant les propriétés des couleurs, et s’adonnant à cet effet à l’alchimie et à la distillation, en vint de la sorte à recouvrir ses peintures au blanc d’œuf et à la colle d’un enduit dans la composition duquel entrait une huile particulière, procédé qui obtint un grand succès à cause de l’éclat qu’il donnait aux ouvrages. Beaucoup de peintres italiens avaient cherché ce secret, échouant dans leurs tentatives par ignorance de la vraie méthode. Il se fit qu’un jour Jean, après avoir exécuté un panneau auquel il avait consacré beaucoup de temps et de peine selon son habitude, et l’œuvre étant achevée et enduite de son vernis, il l’exposa au soleil pour la faire sécher. Mais, soit qu’il eût été mal joint, soit que le soleil eût trop d’ardeur, le panneau se fendit. Jean, très contrarié de voir son œuvre détruite, se promit bien que pareille chose ne se renouvellerait plus par l’effet du soleil. Renoncent alors à la couleur à l’œuf recouverte de vernis, il donna pour but à ses recherches la production d’un enduit séchant ailleurs qu’en plein air et dispensant surtout les peintres de recourir à l’action du soleil. Il éprouva successivement diverses huiles et d’autres matières et s’assura que l’huile de lin et l’huile de noix étaient siccatives entre toutes ; les soumettant à l’action du feu, et y mêlant d’autres substances, il finit par obtenir le meilleur vernis possible. Et comme c’est le propre des esprits chercheurs de ne point s’arrêter en chemin, il en arriva après de multiples essais, à s’assurer que les couleurs étendues d’huile se liaient à merveille, qu’elles acquéraient en séchant une grande consistance, qu’elles étaient imperméables à l’eau, que l’huile, enfin, donnait un éclat plus vif sans le secours d’aucun vernis. Ce qui l’étonna et lui plut davantage, ce fut que les couleurs se mélangeaient mieux à l’huile qu’à l’œuf et à la colle. Jean fut, comme de juste, joyeux de sa découverte. Un nouveau genre d’œuvres voyait le jour à la grande admiration de tous, et bientôt la renommée eut porté le bruit de l’invention jusqu’aux contrées les plus lointaines. De l’autre des Cyclopes et de l’inextinguible Etna l’on accourut pour voir cette merveilleuse innovation, comme il est dit plus loin. Il ne manquait à notre art que cette noble pratique pour égaler la nature ou la mieux rendre. » Cette invention, ajoute Van Mander, eut lieu vers 1410.

D’après Van Mander, Jean Van Eyck aurait gardé jusque dans sa