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abstraction faite peut-être du violent et brutal Antonio Pollajuolo, aux yeux duquel la peinture réside surtout dans la solution de problèmes d’anatomie, la recherche du style devient partout prépondérante, chez Mantegna, chez les Bellin, aussi bien que chez fra Filippo Lippi, chez Benozzo Gozzoli, chez Ghirlandajo, Botticelli et Filippino. Le mot d’ordre désormais, c’est la nature contrôlée et corrigée par la tradition, c’est-à-dire par l’antique. On peut l’affirmer hardiment : à partir du milieu du XVe siècle, le réalisme italien a vécu.

Essayons de conclure : sans chercher à résoudre le problème de la supériorité relative des deux écoles, je me bornerai à constater que les Italiens du XVe siècle ont réussi, toutes les fois qu’ils l’ont sérieusement voulu, à rivaliser avec les Flamands sur le terrain que ceux-ci avaient librement choisi, tandis que les Flamands ont échoué piteusement quand ils ont essayé d’entrer en lutte avec les Italiens. Il y a un autre enseignement encore à tirer de l’histoire des deux écoles : l’une d’elles, celle qui ne sacrifie qu’au réalisme, n’accomplit pas un seul progrès après la disparition de ses glorieux initiateurs, Claux Sluter, Hubert et Jean Van Eyck ; en moins d’un siècle, elle se trouve réduite à l’impuissance. Depuis, c’est à peine si les primitifs flamands ont inspiré, tout près de notre temps, une demi-douzaine de pasticheurs. L’autre, au contraire, celle qui tempère le réalisme par le culte des belles formes, soit que celles-ci lui aient été transmises par l’antiquité, soit qu’elles lui aient été révélées par les modèles indigènes, cette autre, dis-je, qui s’appuie à la fois sur la tradition et sur l’esprit de libre recherche, après avoir rempli le XVe siècle de ses chefs-d’œuvre, nous réserve, au siècle suivant, une floraison encore plus complète, encore plus brillante, avec Michel-Ange et Raphaël, avec Giorgione et le Titien, avec le Corrège et Paul Véronèse ; plus près de nous, cette école se renouvellera, sans secousse, par le simple retour à un principe fécond, au XVIIe siècle avec le Poussin, à la fin du XVIIIe siècle avec Louis David, au XIXe avec Ingres ; elle est loin d’avoir dit son dernier mot ; l’avenir nous ménage plus d’une surprise, et à elle plus d’un triomphe.

Ne semble-t-il pas, qu’en essayant d’étudier cette rivalité entre deux grandes écoles, entre deux grands principes, nous venions de faire de l’actualité et que nous ayons touché, témérairement peut-être, à l’histoire de l’art contemporain ?


EUGENE MÜNTZ.