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d’or aux marins qui longeaient l’Ile de Leucé, où l’on montrait son tombeau.

Quand deux peuples faisaient alliance, il arrivait souvent qu’afin de montrer leur union fraternelle, chacun d’eux honorait les héros de l’autre, en associant ceux-ci à son culte national. En revanche, les patrons de deux cités rivales, comme certains saints de deux villages ennemis au moyen âge, ne s’entendaient guère. Adraste, ce roi d’Argos et ancien chef des confédérés dans la guerre thébaine, avait à Sicyone une chapelle où des chœurs dithyrambiques célébraient chaque année ses exploits et ses malheurs, durant une fête qui était la plus brillante de la ville. Clisthénès résolut de l’en chasser pour faire affront aux Argiens, ses ennemis ; mais la chose était grave. Il essaya de s’y faire autoriser par l’oracle de Delphes. La Pythie lui répondit qu’Adraste était le divin protecteur des Sicyoniens, et lui, un brigand. Obligé de renoncer à la force ouverte, Clisthénès imagina de contraindre Adraste à déguerpir de lui-même. Il fit demander aux Thébains le héros Mélanippos, mort quatre ou cinq cents ans auparavant, c’est-à-dire les rites de son culte ; quand il les eut obtenus, il lui consacra une chapelle au Prytanée et le plaça dans l’endroit le plus fort, afin qu’il pût mieux se défendre. Mélanippos avait été le mortel ennemi d’Adraste, dont il avait tué le gendre et le frère. Clisthénès transporta au nouveau-venu les fêtes et les sacrifices qu’on avait jusqu’alors célébrés au nom du roi d’Argos, et il ne douta pas qu’Adraste, humilié de son délaissement et des honneurs rendus à son rival, ne retournât de lui-même à Argos.

On n’était pas toujours bien assuré de la condition faite à ces personnages, placés entre ciel et terre, sans être tout à fait de l’un ou de l’autre. Un mot du pieux écrivain d’Halicarnasse montre l’incertitude où l’on restait à leur égard, même quand il s’agissait du plus illustre d’entre eux. « Le résultat de mes recherches, dit Hérodote, prouve clairement que, parmi les Grecs, ceux-là agissent avec discernement qui ont deux temples d’Hercule, l’un où ils lui sacrifient, comme à un Olympien ; l’autre où ils lui rendent les honneurs dus à un héros. »

Les héros, qui tenaient une si grande place dans la vie religieuse des Grecs, en avaient une encore dans leur vie politique : ils intervenaient dans les traités. Une des clauses de la convention fameuse qui porte le nom de Nicias (421) stipula que toutes les conditions en seraient fidèlement observées, « à moins qu’il n’y ait empêchement de la part des dieux et des héros. »

Enfin, on verra la postérité des morts illustres, gardienne de leurs tombeaux et des rites de leur culte, former la classe des