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Lorsque Créon reproche à Antigone d’avoir violé son ordre royal qui interdisait d’accomplir pour Polynice les cérémonies funèbres, la noble fille répond au tyran en invoquant « ces lois éternellement vivantes, qu’aucune main n’a écrites, mais que les dieux et la Justice, leur compagne, ont gravées au cœur de tous les hommes. » C’est le cri de la conscience que révolte l’iniquité, et ce cri, les persécutés de tous les temps l’ont jeté à la face des persécuteurs. Aux anciens jours, nul ne pensait à cette opposition entre la loi naturelle et la loi civile, dont les résultats marquent le mouvement de la civilisation, et, tout en répétant les histoires légères qui couraient sur la plupart des divinités, comme pour justifier, aux yeux des Grecs, leurs propres faiblesses, on avait la crainte des dieux, vengeurs de l’injustice, et, si l’on violait un serment prêté avec les imprécations solennelles, on redoutait les Érinnyes, gardiennes des lois morales. Le dieu même qui manquait à son serment, après avoir juré par le Styx et les divinités infernales, était exclu de l’Olympe pour neuf années. Le serment, si fortement consacré par la religion, sera aussi le lien, longtemps respecté, de la société civile et politique.

Cependant, il faut dire qu’avec les dieux de la Grèce et avec la morale célébrée par les poètes, il est aussi des accommodemens. Apollon, qui fait tuer Clytemnestre par son fils, recommande à Oreste d’employer le mensonge et la ruse contre les meurtriers d’Agamemnon. Aussi trouve-t-on dans Homère les deux représentans du génie grec : pour l’héroïsme, Achille, à qui rien ni personne ne résiste et qui hait le mensonge « autant que les portes de l’enfer ; » pour l’adresse et la subtilité, qui tournent tous les obstacles, Ulysse, le fils de Sisyphe, et, comme lui, le grand trompeur.


VII

L’espérance dans la protection des esprits ou des dieux a été partout l’origine du culte. Les Grecs ont cru, comme les autres peuples, qu’ils pouvaient apaiser ou séduire leurs divinités par de pieuses offrandes et des prières, par des vœux et des sacrifices ; quelquefois, dans les anciens temps, par des sacrifices humains. Si l’odeur des victimes brûlées sur les autels était pour elles un délicieux parfum, c’est que l’oblation faite par les fidèles d’une portion de leurs biens montrait un cœur humble et repenti. C’était aussi, c’était surtout parce que de nombreuses victimes offertes sur le même autel flattaient l’orgueil du dieu, en attestant quels honneurs lui étaient rendus sur la terre. Du reste, il permettait à ses