Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 74.djvu/639

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

laborieuses ? Nous savons que non, et que, bien au contraire, c’est au sein des sociétés qui, sous le rapport de la production industrielle, tiennent le premier rang, que la situation de l’ouvrier laisse le plus à désirer. Sans les pays nouvellement colonisés, dont la population n’a qu’une faible densité, la distance qui, plus tard, séparera les divers degrés de fortune est encore peu marquée. Là, les riches sont moins riches, les pauvres moins pauvres ; tout le monde travaille ; à peine sait-on ce que c’est que mendier. Mais que la locomotive arrive, que l’industrie emploie ses ressources, que la machine se substitue au travail des bras : c’en est fait de cet âge d’or. Aussitôt la misère apparaît. Au milieu des élégans magasins et des églises monumentales, on voit sortir de terre les établissemens d’assistance et les prisons. On ne saurait nier, en présence de ces témoins accusateurs, que la misère qui règne au bas de l’échelle soit imputable à la marche même du progrès et non à des circonstances locales.

Il est vrai pourtant que la richesse générale s’accroît à mesure que le flot de la civilisation s’étend. Mais à qui profite cette transformation ? A coup sûr, ce n’est pas à ceux dont l’existence est le plus dépouillée. L’eau va à la rivière et le bien-être à ceux qui le connaissent déjà. Le progrès peut être comparé à « un coin immense qui pénètre dans la société, non pas perpendiculairement, mais horizontalement et la divise en deux couches. Ceux qui se trouvent au-dessus de la ligne de démarcation sont élevés, ceux qui se trouvent au-dessous, écrasés. »

Pour expliquer ce douloureux phénomène, les économistes ont invoqué ce qu’ils appellent la loi du salaire. D’après eux, le nombre des travailleurs et le prix de la main-d’œuvre sont en raison inverse l’un de l’autre, car, à ce qu’ils assurent, le salaire se tire du capital et, dans tout partage, augmenter le nombre des ayants droit, c’est aussi diminuer ce qui leur revient.

Erreur ! Le salaire ne provient pas du capital, mais du travail, Comme le chasseur trouve son profit dans le gibier qu’il abat, ainsi l’ouvrier crée lui-même la richesse qui lui fournira la rémunération de ses peines. Nous ne nions point l’utilité du capital, mais nous soutenons qu’il n’a pas la fonction que l’on a prétendu. Sa mission est essentiellement de procurer les instrumens de travail à l’artisan et à l’ouvrier, les semences à l’agriculteur, les avances nécessaires au commerçant. Quand on s’adresse à lui pour lui demander le prix de la main-d’œuvre, c’est qu’alors nous n’avons plus affaire seulement à un producteur, mais à un négociant qui attend le moment favorable pour écouler ses produits.

Sur cette première erreur, la loi du salaire, les économistes en