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Chaque groupe a son organisation particulière, sa méthode de propagande, ses journaux, — en tout quatre cents environ (nous disons bien : quatre cents), — dont plusieurs et d’entre les plus importuns se publient en allemand. C’est le cas, en particulier, pour la Freiheit, qui a Most pour rédacteur et dont nous entendons quelquefois parler.

Le programme des rouges se résume dans ces deux articles : au point de vue politique, l’anarchie, et pour atteindre ce but : la révolution. Au point de vue économique : l’organisation du travail d’après le principe de la coopération, et l’échange direct des produits, de manière à supprimer à la fois et le capital et le commerce, — le capital qui demande sa rémunération aux sueurs des ouvriers et qui prélève son lourd intérêt sur leur salaire ; le commerce, qui joue entre le producteur et le consommateur le rôle d’un intermédiaire inutile et coûteux.

Quant aux bleus, ils combattent à outrance, sur le terrain politique, les doctrines de l’anarchie, mais ils ne se montrent pas moins hostiles à l’individualisme des sociétés actuelles, au sein desquelles, selon eux, chacun peut s’enfermer dans la recherche de son intérêt personnel et laisser mourir son prochain, s’il lui en coûte de se déranger pour lui. Sur le terrain économique, ils tendent aussi, comme les rouges, à la coopération tant des forces productives que des forces distributrices, et, pour en arriver là, ils font appel aux mêmes moyens que l’association rivale. Voici, du reste, comment ils se sont expliqués à ce sujet dans une de leurs assemblées générales tenue à Baltimore en décembre 1883 : « Le sol, les instrumens de production, de transport et d’échange redeviendront aussitôt que faire se pourra la propriété de tous. »

Telle est la situation, qui peut se résumer de la manière suivante : si on laisse de côté le point de vue politique, sur lequel elles diffèrent assez profondément, pour ne considérer que le côté économique, les deux écoles se donnent la main. Un des organes de la fraction internationaliste, le Truth de Chicago, publiait, il n’y a pas bien longtemps, dans ses colonnes, cette prophétie comminatoire : « Gare à vous propriétaires, attention ! Il y a des brisans au large. C’est la nouvelle loi qui régit le prix de la terre, à la ville comme à la campagne. Le prix de la terre est déterminé par la vente de Progrès et Pauvreté d’Henry George ; il baisse quand la vente de cet ouvrage monte, il monte quand elle baisse. Ce livre vient de dépasser sa centième édition, et il marche d’un pas plus rapide que jamais. Dans dix ans d’ici, les lots de terrain aux abords des villes ne vaudront plus que les impôts dont ils seront frappés. » Les socialistes modérés vont peut-être moins vite en besogne ; ils ne se croient pas si près de toucher le but, mais ils se nourrissent des