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des nervosités qui témoignaient de la fragilité de sa constitution. La transformation s’était accomplie sans être préparée par l’assimilation des idées, des intérêts et des coutumes. L’unité, au lieu de suivre l’union, l’avait précédée[1]. L’Italie en subissait les conséquences ; elle traversait une crise périlleuse, des symptômes de désagrégation éclataient de toutes parts : l’anarchie régnait dans les provinces, la sécurité y était précaire, les transactions chômaient, l’indiscipline pénétrait dans l’armée, la banqueroute semblait inévitable, les rivalités s’accentuaient entre les capitales dépossédées, le roi était atteint dans sa popularité et le parti révolutionnaire redoublait d’audace, Garibaldi bravait le gouvernement publiquement, tandis que Mazzini le minait sourdement. La translation de la capitale à Florence et la cession de la Vénétie, qui devaient tout concilier, n’avaient rien résolu. « Rome capitale » était devenue, en 1867, avec plus ou moins d’intensité, le cri de ralliement de tous les partis ; on y voyait le salut de l’Italie, un dérivatif à tous les maux, la dernière étape pour arriver au couronnement de l’unité.

L’empereur apprenait tardivement ce qu’il en coûte de se consacrer à la délivrance des peuples. Il avait rêvé une alliance fraternelle indissoluble avec l’Italie et, sans le vouloir, il froissait son amour-propre et se mettait en conflit avec ses aspirations dès qu’il affirmait l’intérêt français. La convention du 15 septembre, qui, dans sa pensée, devait prémunir la péninsule contre les entraînemens révolutionnaires et sauver la papauté, loin de réconcilier le saint-siège avec les Italiens, avait fait éclater entre eux une irrémédiable dissidence. En consacrant le principe de la non-intervention et en proclamant la nécessité d’une entente entre l’état et l’église libres, elle livrait, en réalité, Rome à l’Italie. Personne dans la péninsule n’avait accepté Florence comme capitale définitive ; ce n’était, disait-on, qu’une étape qui conduirait plus vite et plus sûrement à Rome. Le roi en était le premier convaincu. « Si nous allons à Florence, disait-il lorsque dans ses conseils on discutait le choix de la capitale, il nous sera aisé de plier bagage et de fausser compagnie aux Florentins, mais si nous nous installons à Naples, les Napolitains ne nous permettront plus de lever le pied. » Il était manifeste pour tout le monde que l’arrangement international du 15

  1. « Je considère l’unité comme une chimère, disait Gioberti au parlement piémontais ; nous devons nous contenter de l’union. » Il semblait impossible à tous les esprits sages de faire d’un coup de baguette table rase des préjugés, des traditions séculaires, « de changer en un jour la tête et le cœur de vingt-quatre millions d’habitans. » Le roi et le comte de Cavour n’avaient entrevu qu’une fédération d’états, dominée par l’Italie centrale. Le parti républicain seul avait eu une claire perception de l’avenir de la Péninsule. (A. Boullier, Victor-Emmanuel et Mazzini. Paris ; Plon.)